Allons-nous (vraiment) vers « la fin du macronisme » ? – TRIBUNE
POLITIQUE – « Le macronisme trouvera probablement une fin dans les mois qui viennent avec la fin du quinquennat ». Venant de Sophie Primas, porte-parole d’un gouvernement censé représenter le « socle commun » présidentiel, cette déclaration apparaît pour le moins maladroite, et il n’est pas étonnant qu’elle ait déclenché des polémiques parmi les macronistes.
Il n’empêche qu’elle suscite plusieurs questions, deux ans avant la fin d’un second quinquennat marqué par un sentiment d’impuissance du chef de l’État. Première question d’évidence : qu’est-ce que l’on entend par macronisme ? S’il s’agit de la pensée politique d’Emmanuel Macron, son projet, son grand dessein pour la France, il faut se référer à ses écrits, à ses discours comme à ses actes.
Si l’on s’en tient à son essai programmatique Révolution, publié dans le contexte de la campagne présidentielle de 2017, on pourrait résumer le projet macroniste à un volontarisme optimiste de la « refondation du pays », qui s’appuie sur une philosophie du progressisme, théorisée deux ans plus tard par son ex-conseiller Ismaël Emélien dans son ouvrage Le Progrès ne tomba pas du ciel.
La Révolution macroniste s’articule notamment sur le dépassement du clivage historique droite-gauche, sur une « révolution démocratique » par la participation des citoyens, sur la confrontation pragmatique avec la « réalité du monde », c’est-à-dire la globalisation, et sur l’ambition de faire de la France une « start up nation », à la pointe de l’innovation technologique, ainsi que le leader d’une intégration européenne renforcée.
Un sentiment d’échec
À partir de cette base programmatique se pose évidemment la question de sa mise en œuvre, c’est-à-dire du macronisme comme expérience du pouvoir. Si l’on prend l’exemple du gaullisme, force est de constater que le général de Gaulle lui-même, à partir de quelques principes forts sur la souveraineté du peuple et l’indépendance de la nation, se considérait avant tout comme un pragmatique de l’action, avant d’être un idéologue.
On pourrait donc faire crédit à Emmanuel Macron d’avoir été confronté aux évènements forts qui ont perturbé ses deux quinquennats, de la révolte des gilets jaunes à l’invasion de l’Ukraine, l’obligeant à adapter de manière pragmatique le projet originel qui était le sien. On lui reprochera néanmoins d’avoir peu à peu oublié le dépassement des clivages, infléchissant la course de sa gouvernance vers la droite, notamment sur les sujets régaliens. On lui rappellera par ailleurs qu’il a négligé la « révolution démocratique » promise, interprétant le dépassement des clivages dans le sens bonapartiste d’un renforcement de l’autorité présidentielle, au détriment des partis comme des corps intermédiaires.
Que reste-t-il des « Marcheurs » ou des cahiers de doléances qui devaient alimenter le Grand débat national ? La présidence « jupitérienne », jouant de « l’effet-drapeau » de la guerre contre la pandémie ou contre Poutine, n’a pas su ou voulu approfondir la démocratie participative que lui réclamait la demande sociale. Enfin, on peut évidemment contester les résultats de sa politique du « ruissellement » qui, loin de résorber les inégalités sociales, les a creusées. De fait la Révolution « progressiste » annoncée en 2017 a contribué à résorber le chômage de masse et à séduire les investisseurs étrangers, mais elle est loin d’avoir réunifié l’archipel français.
Sans famille
Ajoutons à ce tableau négatif l’échec patent d’Emmanuel Macron à constituer un parti, un mouvement politique susceptible de porter la Révolution macroniste. Renaissance, le parti présidentiel, n’atteint pas 10 000 adhérents, alors que le Mouvement en Marche en revendiquait plus de 400 000 en 2017. Le groupe Ensemble pour la République ne compte que 82 députés à l’Assemblée nationale.
Même si c’est le deuxième groupe derrière celui du Rassemblement national (120), c’est très insuffisant pour prétendre mener la reconstruction parlementaire du macronisme, d’autant que le groupe sénatorial ne dépasse pas 20 unités. Quant aux grandes villes françaises, elles ont toutes basculé à gauche ou à droite en 2020. Seules des alliances, notamment avec les Républicains, pourraient permettre aux macronistes d’en récupérer quelques-unes.
On pourrait objecter que le premier parti gaulliste, le Rassemblement du peuple français, lancé avec succès en 1947 où il avait raflé la plupart des grandes villes aux municipales, connut lui aussi de grosses désillusions aux législatives de 1951 puis aux municipales de 1953, au point que le général de Gaulle fut conduit à le mettre en sommeil. Mais il est vrai que ce dernier s’était mis dès 1956 en retrait du régime des partis de la IVe République, et qu’il n’était donc plus tourné vers l’avenir. C’est parce qu’il redevint l’homme providentiel de 1940 à la faveur de la crise de mai 1958 qu’il put reconstruire le gaullisme, appuyé sur une Constitution à sa mesure.
Sans héritier
Et l’on touche ici à la nature même du macronisme, indissociable du personnage Emmanuel Macron, qui s’est toujours situé dans l’héritage présidentiel du général de Gaulle. Ce qui a fait le macronisme, c’est le talent d’un homme, sa capacité à susciter l’espoir d’un peuple au lendemain de la faillite des partis de gouvernement, en somme à incarner à nouveau le mythe de l’homme providentiel. Mais cette capacité d’incarnation s’est érodée avec le temps et les crises, comme elle s’était usée avec tous ses prédécesseurs, même le général de Gaulle, dépassé par les événements de Mai 68.
Toutefois, le message du gaullisme, l’incarnation historique de la grandeur dont il était le dépositaire, lui permirent de se reconstruire et de se régénérer après la retraite politique du héros fondateur. Il est évident que les conditions de cette pérennité historique ne sont pas remplies aujourd’hui par le macronisme, si grands soient les talents de celui qui l’a créé. On peut d’ailleurs se demander si lui-même a véritablement envie qu’un tel courant lui survive, porté par l’un de ses successeurs.
On se souvient que le général de Gaulle rechigna beaucoup à laisser les rênes du gaullisme à son dauphin désigné Georges Pompidou. Il n’est pas sûr qu’Emmanuel Macron encourage les héritiers du macronisme, dont certains commencent déjà à le renier à mots plus ou moins couverts. L’homme providentiel a besoin de se savoir unique, et seule le préoccupe sa propre postérité.