Après la censure de Barnier, les politiques face au « chaos » qu’ils entretiennent
POLITIQUE – Tout est « chaos ». Le mot a résonné à l’infini ce mercredi 4 décembre dans l’hémicycle lors du vote crucial de la motion de censure déposée contre Michel Barnier et son gouvernement. Pour la deuxième fois de l’histoire de la Ve République, l’Assemblée nationale a contraint le Premier ministre et son gouvernement à la démission par l’addition de 331 voix du Rassemblement national et du Nouveau Front populaire. Ouvrant la voie à une période remplie d’incertitudes et sans aucune garantie que les forces en présence parviennent à s’entendre pour en sortir.
« Il n’y a que deux choix possibles : l’intérêt du pays ou celui des partis, le choix de la responsabilité ou celui du chaos », a mis en garde le président du groupe Droite Républicaine Laurent Wauquiez. Comme lui, tous les orateurs du « socle commun » ont longuement disserté sur « les moult conséquences » d’une censure du gouvernement. Les agriculteurs, en plein mouvement de grogne moins d’un an après la crise de l’automne 2023 ont été parmi les plus cités. Michel Barnier a aussi évoqué le secteur du logement en crise, la « perte du pouvoir d’achat des Français » avec l’imposition de nouveaux contribuables faute d’indexer le barème de l’impôt sur l’inflation, l’augmentation des taux d’intérêt de la France due à l’absence de stabilité politique…
Autant d’arguments battus en brèche par les groupes qui ont choisi de voter la censure. « Arrêtez de faire croire que la lumière s’éteindra », a cinglé l’orateur de la France Insoumise Éric Coquerel en évoquant la loi spéciale pour reconduire le budget 2024. « Le chaos est déjà là. Il est politique, économique et social », a-t-il ajouté sur la même ligne que son collègue communiste Nicolas Sansu. Idem chez Marine Le Pen qui a présenté la censure comme « une nécessité pour mettre fin au chaos » même si pour cela « les institutions nous contraignent à mêler nos voix à celles de l’extrême gauche. »
« Trahison » du Front républicain partout…
Preuve de l’incongruité de l’addition des voix de l’alliance de gauche et du parti d’extrême droite, le chef de file socialiste Boris Vallaud a lui aussi affirmé que « cette motion de censure n’est pas non plus un outil qui vise au chaos ». Mais, ajoute-t-il, « cette motion c’est pour gouverner sans plus jamais négocier avec l’extrême droite. »
Car au-delà du contenu des textes budgétaires, les partis du Nouveau Front populaire n’ont pas digéré de voir le désormais ex-chef du gouvernement négocier et accéder aux demandes de Marine Le Pen quand eux estiment que « rien » dans leurs propositions n’a été « sérieusement » discuté. Une « trahison » du front républicain érigé lors des législatives, a déploré Boris Vallaud. Réplique du socle commun, par la voix du président du groupe MoDem Marc Fesneau : « Chers collègues de gauche, vous reprochiez au Premier ministre d’être sous la tutelle du RN mais c’est vous qui allez vous allier avec eux pour précipiter la France dans l’inconnu et le chaos ».
Le chaos, encore et toujours. Les orateurs s’en sont tour à tour tous renvoyé la responsabilité : Emmanuel Macron, sa dissolution et la méthode Barnier pour les uns ; la gauche, le RN et la motion de censure pour les autres. La balle a rebondi dans les travées de l’hémicycle pendant plus de deux heures. Avec à terme, toujours la même question irrésolue : et après ?
… Et solution nulle part ?
Car c’est désormais la question qui occupe tous les esprits. La composition morcelée de l’Assemblée nationale ne changera pas avant au moins juin 2025. Dans ces conditions, qui sera capable de conduire un gouvernement sans perpétuer le cycle de la censure ? À la tribune, tous les camps ou presque ont profité du moment pour avancer leurs pions.
À commencer par Éric Coquerel, qui a plaidé pour la nomination d’un « gouvernement NFP ». Sauf qu’un tel gouvernement comprendrait nécessairement des élus insoumis et serait immédiatement exposé à la censure, macronistes et Rassemblement national ayant déjà dit à l’été leur opposition sur ce point. Deuxième option, proposée cette fois par la secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier alors que les débats battaient leur plein : un ou une chef de gouvernement choisi « dans les rangs des Écologistes et de la gauche » mais pas sans discussions avec les « macronistes » et les « centristes » pour trouver « une solution sûrement imparfaite (et qui) n’aura rien d’évident mais qui aura le mérite d’être à la hauteur de l’urgence de la situation ».
L’idée n’est pas si éloignée de celle des socialistes. Boris Vallaud, le chef de file à l’Assemblée réclame aussi un chef de gouvernement de gauche mais avec un « accord de non-censure » et « des compromis » sur quelques textes. Là encore une main tendue aux macronistes, réitérée en direct à la tribune ce mercredi… Et à laquelle Gabriel Attal est sur le papier favorable. L’ancien Premier ministre plaide en privé pour un accord similaire et à l’Assemblée, il a conclu son discours en s’adressant aux socialistes. « On peut s’opposer sans tout gâcher, sans censurer », a-t-il lancé. Mais à une condition : que le parti d’Olivier Faure « s’affranchisse » de La France insoumise.
Retour à la case départ. La France insoumise, qui a l’Élysée dans son viseur pour 2027 ou avant, a déjà dit tout le mal qu’elle pensait de la proposition de son allié socialiste. Le camp présidentiel de son côté ne veut pas entendre parler des troupes mélenchonistes, voire écologistes. Le front républicain constitué – déjà dans la douleur – aux législatives a peu de chances de se reformer dans l’hémicycle autour d’un Premier ministre et ce, même si tous s’accordent sur leur volonté de limiter le rôle du RN.
Au milieu de tous, Emmanuel Macron, seul à décider du chef du gouvernement. Le président de la République en retrait de la scène nationale depuis la nomination de Michel Barnier s’adressera aux Français ce jeudi à 20 heure Selon un ancien ministre cité par BFMTV, il a pour ambition de « nommer un Premier ministre en 24 heures », si possible avant la réouverture de Notre-Dame prévue samedi 7 décembre. Mais face aux lignes rouges croisées exprimées par tous les camps, seul un miracle pourrait débloquer la situation. Il ne lui reste plus qu’à allumer un cierge.
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