Politique

Après Nogent, la réponse du gouvernement cache mal la déshérence de la santé mentale des jeunes

POLITIQUE – L’arbre tout sécuritaire pour cacher le désert. Mis sous pression par la droite et l’extrême droite après la mort d’une assistante d’éducation, poignardée par un élève devant son établissement scolaire à Nogent, mardi 10 juin, le Premier ministre n’a pas perdu de temps pour dévoiler ses premières réponses.

François Bayrou s’est invité au journal de 20 heures de TF1, le soir même, pour annoncer plusieurs mesures : parmi elles, l’interdiction de la vente de couteau aux mineurs, soutenue dans la foulée par Emmanuel Macron sur France 2, et l’expérimentation des fameux portiques de sécurité devant les collèges et lycées. Une façon de montrer la mobilisation de l’exécutif, à la hauteur de l’émotion que ce drame a suscité dans le pays.

Reste que cette première riposte, accueillie avec un certain scepticisme jusqu’au sein du gouvernement, cache difficilement les autres enjeux majeurs souvent oubliés en matière de violence juvénile. À savoir, les questions de prévention, et l’insuffisance des moyens accordés à la santé mentale, notamment des jeunes.

La santé mentale des jeunes décline

Les études s’accumulent depuis des mois et dressent un constat alarmant : adolescents et jeunes adultes français sont nombreux à connaître des troubles mentaux, en premier lieu dépressifs et anxieux. Une tendance qui s’accentue depuis les années Covid.

Parmi ces indicateurs, on peut par exemple citer les tentatives de suicide qui ont dramatiquement augmenté depuis 2020, notamment chez les jeunes filles. En parallèle, la Fédération Hospitalière de France a enregistré en 2024 une hausse nettement plus forte qu’attendue de la consommation de soins psychiatrique chez les enfants et les jeunes (32 % supplémentaires pour les 5-19 ans), tandis que Santé publique France estime que 13 % des enfants de 6 à 11 ans présentent déjà un trouble mental probable.

Si les confinements de 2020-2021 et leurs strictes restrictions sanitaires ont joué un rôle en affectant la socialisation à un âge crucial, les causes de ce mal-être largement documenté sont probablement plus complexes et nombreuses, d’autant que les jeunes ne sont pas un bloc en soi et que chaque trouble mental a des ressorts individuels particuliers.

Un constat, en revanche, fait l’unanimité chez les associations, les professionnels et une partie de la classe politique : le système de santé, comme l’Éducation nationale, ne sont pas en mesure de répondre à cette situation, faute de moyens suffisants et d’impulsion politique réelle. Là aussi, les indicateurs sont sans appel.

« L’Éducation nationale est un des principaux déserts médicaux »

Depuis 2019, les effectifs de professionnels de santé dans les établissements scolaires sont en chute libre. Selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale, le nombre de médecin scolaire a baissé de 30 % en cinq ans. Le nombre de postes vacants dépasse aujourd’hui 40 %. Résultat : un médecin s’occupe de 13 000 élèves, un psychiatre de 1500 environ, une moyenne plus haute que les standards observés chez les pays européens. Avec des incidences concrètes.

Les collégiens et lycéens ne peuvent bénéficier d’un suivi optimal, ni même, parfois, minimal. Selon des chiffres de la Cour des comptes relayés dans un rapport parlementaire en 2023, seuls 18 % des élèves réalisent leur visite médicale obligatoire lors de leur sixième année et seuls 62 % des élèves de 6e bénéficient d’un dépistage infirmier. De quoi rendre difficile la détection des signes de malaise ou de mal-être.

« L’Éducation nationale est un des principaux déserts médicaux du pays », dénonce Marine Tondelier, la secrétaire nationale des écologistes, relayant les inquiétudes de longue date des professionnels sur ces questions. « Le drame de Nogent force la société regarder la santé mentale des jeunes en face, pour répondre à un problème sociétal », a-t-elle expliqué, ce mercredi sur franceinfo, reprochant à l’exécutif ses propositions « populistes. »

Bayrou veut faire « un pas en avant »

Dans ce contexte, le gouvernement assure qu’il ne néglige pas ce versant de la réponse, après sa riposte tout sécuritaire. Sur TF1, mardi soir, le Premier ministre a expliqué vouloir « faire un pas en avant encore, avec la détection des problèmes de santé mentale ». Et donc ? « Repérer les signes qui permettent de penser qu’une personnalité est fragile, c’est la première chose nécessaire », a-t-il expliqué, en reconnaissant, lui aussi le « manque de moyens » de la médecine scolaire.

Un mois plus tôt, Élisabeth Borne avait mis la santé mentale au cœur des Assises de la santé scolaire, dans le sillage de Michel Barnier, éphémère locataire de Matignon, qui avait fait de ces enjeux la grande cause de l’année 2025. Sans réussir à convaincre, à l’image de la ribambelle de plans, stratégies et autre mobilisation restés sans effets tangibles cette dernière décennie.

« La récente annonce du ministère de nommer cent psychologues de l’Éducation nationale conseillers techniques en santé mentale est dérisoire », dénonce encore Audrey Chanonat, du syndicat des personnels de direction, dans les colonnes du Parisien ce mercredi, en appelant l’exécutif à « renforcer la prévention. Cela signifie mettre sur le terrain du personnel. » Cela signifie aussi un effort financier. Le gouvernement, en pleine recherche d’économies pour résorber le déficit, y est-il prêt ?