Avant Bétharram, la relation ambiguë de Bayrou avec l’enseignement privé
ÉDUCATION – Le 14 mai prochain offrira-t-il enfin à François Bayrou l’épilogue tant espéré pour mettre derrière lui l’affaire Bétharram ? Depuis que l’affaire a éclaté au grand jour le Premier ministre, qui assurait ne rien savoir des violences physiques, sexuelles, et systémiques commises dans l’établissement, en est fragilisé, et le témoignage de sa fille n’a pas pour autant atténué la portée politique de l’affaire. D’autant que sa carrière s’inscrit aussi en creux dans un continuum de croyances personnelles : le Béarnais est un fervent catholique pratiquant.
C’est cette spiritualité, assume-t-il en décembre dernier sur LCI, qui le guide sur certaines questions et notamment par exemple le projet de loi fin de vie. Peut-on vraiment séparer l’homme politique du croyant ? Lui-même, qui affiche pourtant par ailleurs une ligne ferme sur la laïcité, ne semble pas totalement y croire et la suspicion s’avère régulière, notamment au regard de son lien très fort avec l’enseignement privé.
Avant d’accéder à Matignon, la carrière de François Bayrou a surtout été marquée au niveau national par son passage rue de Grenelle. En pleine cohabitation avec Mitterrand, il est nommé par Balladur en 1992 ministre de l’Éducation nationale, au sein de ce gouvernement bigarré de centre droit, à propos duquel écrit Le Nouvel Obs à l’époque : « rien d‘autre que leur foi commune ne rassemble ces hommes ».
L’échec autour de la loi Falloux
À l’Éducation nationale jusqu’en 1996, François Bayrou a été avant Jean-Michel Blanquer l’un de ceux qui a occupé le plus longtemps ce maroquin, et il y a fermement défendu l’enseignement privé au point de mettre sa tête sur le billot. Six mois après son arrivée, le ministre quadra propose d’abroger la loi Falloux, votée en 1850 et qui plafonne le financement des établissements privés par les collectivités locales. « Il ne s’agit plus, pour le public et le privé, de s’accepter, mais bien de se reconnaître. Le temps est venu de voir se réaliser la rencontre entre les valeurs de l’un et celles de l’autre », défend même François Bayrou en juin 1993 à Saint-Malo, face à l’Union nationale des associations de parents d’élèves de l’école libre (UNAPEL), pour laquelle il prend fait et cause.
En creux, il s’agit de mettre le public et le privé au même niveau mais aussi de libéraliser l’enseignement de manière générale. Dans son programme des législatives de 1993, l’UDF défend notamment la suppression de la carte scolaire et plus d’autonomie pour les chefs d’établissements. « L’enseignement catholique a un caractère spécifique. Il a une dimension d’attention à la pensée humaine qu’on ne trouve pas ailleurs », vantait même le ministre en 1993, selon un article de La République des Pyrénées, datant de cette année-là. Les syndicats le soupçonnent de pousser dans le sens d’une privatisation de l’école publique.
Le projet phare de François Bayrou déclenche une bronca et n’emporte pas plus l’adhésion d’Édouard Balladur. Ses principales dispositions sont finalement largement censurées par le Conseil constitutionnel alors que près d’un million de personnes descendent dans la rue le 16 janvier 1994 pour défendre la laïcité.
Des subventions à Bétharram
Or, en quasi-concomitance avec les débats autour de la loi Falloux, François Bayrou a, selon Mediapart, « arrosé » d’argent public Bétharram. En tant que président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, il a d’après le site d’informations, fait verser au moins 1 million de francs (l’équivalent actuellement de 230 000 euros) au profit de l’établissement, de 1995 à 1999.
Outre que sa femme y donnait des cours de catéchèses, trois de ses enfants y étaient scolarisés. À cet égard, le département des Pyrénées-Atlantiques est aujourd’hui au-dessus de la moyenne hexagonale : entre 20 et 50 % des élèves du second degré sont scolarisés dans le privé, contre 17 % au niveau national. Le ratio entre le nombre d’élèves et le nombre d’établissement privés y est aussi élevé, selon des données de 2022.
Après cet échec sur la loi Falloux qui a bien failli lui coûter son poste, les syndicats diront négocier avec un François Bayrou beaucoup plus conciliant, et qui se voit même – déjà – taxé d’un certain immobilisme par ses détracteurs. L’image d’un politique proche de l’enseignement catholique ne s’est en revanche guère délavée. Et pour cause, en plus d’avoir fait valider de nombreuses subventions à Bétharram, François Bayrou a siégé aussi à son conseil d’administration en 1985, a révélé Libération.
Il se trouvait par ailleurs à la rue de Grenelle quand une première plainte pour violences a été déposée contre un surveillant en 1996, et qu’a été demandée une inspection. Le rapport, fait à la va-vite de l’avis de son propre auteur, sera particulièrement minimisé par l’actuel Premier ministre. La société a évolué depuis. Et sans doute que, d’une certaine façon, François Bayrou aussi. Encore faudrait-il le reconnaître. C’est en tout cas ce que pointait récemment auprès du HuffPost un ministre expérimenté : « c’est vraiment le dossier qui peut le faire tomber. Même s’il y a un côté dangereux à juger les responsabilités d’une époque avec nos yeux d’aujourd’hui, il ne résistera pas si on apprend effectivement qu’il savait tout. Moins parce qu’il s’est tu à l’époque, mais parce qu’il aurait voulu faire croire, aujourd’hui, qu’il ne savait rien ».
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