Politique

Bayrou joue-t-il sa survie face à la commission d’enquête sur Bétharram ?

POLITIQUE – « C’est le geste d’un père de famille » : il y a 23 ans en pleine campagne présidentielle, François Bayrou faisait un bond dans les sondages après avoir giflé un enfant qui lui faisait les poches. Deux décennies plus tard, celui dont le parti a porté la loi visant à interdire la fessée, se retrouve ce mercredi 14 mai face à la commission d’enquête sur le contrôle par l’État et la prévention des violences dans les établissements scolaires. Autrement appelée « commission Bétharram ».

Empêtré dans cette affaire du nom de l’établissement privé béarnais où des générations d’élèves ont subi violences physiques et agressions sexuelles, François Bayrou est soupçonné d’avoir su, en totalité ou en partie, et de s’être tu. Ce qu’il dément formellement dans une ligne de défense hasardeuse, à rebours de nombreux témoignages.

Cette fois, le Premier ministre qui n’a admis que du bout des lèvres avoir entendu des rumeurs de claques, ne pourra pas changer de version entre les questions des rapporteurs Paul Vannier (LFI) et Violette Spillebout (Renaissance). Au risque d’y perdre beaucoup de plumes politiques. Voire Matignon ? Lui ne veut pas y croire. « Cette audition est pour moi la possibilité de faire entendre la voix de la vérité et je ne doute pas que nous y parvenions » , a déclaré ce mardi 13 mai François Bayrou, lors d’un échange téléphonique avec « ici Béarn Bigorre », restant fidèle à sa ligne, laquelle consiste à marteler que toute cette affaire n’est qu’une machination politique.

Zones d’ombre

D’autres, au sein même du gouvernement, y voient pourtant un réel risque. « S’il y a un côté dangereux à juger les responsabilités d’une époque avec nos yeux d’aujourd’hui, il ne résistera pas si on apprend effectivement qu’il savait tout. Moins parce qu’il s’est tu à l’époque, mais parce qu’il aurait voulu faire croire, aujourd’hui, qu’il ne savait rien », prophétisait il y a un mois, auprès du HuffPost, un ministre expérimenté. Les Français ne disent pas autre chose. Dans un sondage YouGov réalisé pour notre rédaction, près de 7 Français sur 10 jugent que le Premier ministre devra démissionner s’il est établi qu’il était au courant à l’époque des faits.

Dans l’opposition, LFI, accusée régulièrement d’instrumentalisation, n’hésite pas à agiter la menace de censure. Ce lundi, Léa Balage El Mariky pour les Écologistes voyait poindre « la fin de sa carrière politique, mais aussi la fin de sa crédibilité », s’« il refuse de répondre aux questions ou persiste dans le mensonge ».

Parmi les zones d’ombre persistantes : son niveau de connaissance des faits, lui qui a siégé au Conseil d’administration de l’établissement. Et, le cas échéant, les raisons de son silence, alors qu’il était ministre de l’Éducation lors des premières alertes révélées dans la presse. Et aussi, est-il effectivement intervenu dans la plainte pour viol visant le père Carricart ? A-t-il rencontré à cet effet, en 1998, le juge Mirande, comme l’a assuré sa propre fille Hélène Perlant ?

Les alliés de Bayrou montent au créneau

La charge des soupçons est lourde pour celui qui a fait toute sa carrière politique dans la région, à tel point que le parquet de Pau a demandé le dépaysement des plaintes visant François Bayrou. Au sein du MoDem, sans surprise, on temporise la portée politique du rendez-vous. Pour Marc Fesneau, député MoDem, le maire de Pau (dont il est très proche) « ne joue pas du tout son poste, sinon ça voudrait dire que certains veuillent en faire une instrumentalisation politique ».

Ce mardi, le groupe Démocrates insistait sur cet argument d’une commission « politisée », oubliant un peu vite la macroniste Violette Spillebout, rapporteure de la commission. « Ce sont des députés, ce ne sont pas des enquêteurs (…) s’il y a des faits et bien il y a la justice qui doit passer » a mis à distance la députée MoDem, Perrine Goulet. Jointe par Le HuffPost, Maud Gatel, secrétaire générale du parti, défend avant tout « un moment important pour les victimes », qui permettra « collectivement de faire en sorte que plus jamais cela ne se reproduise ». Et d’ajouter : « l’accusation initiale c’était qu’il avait couvert ces violences, il a démontré que c’était sans fondement ». On a connu démonstration plus éclatante.

Même temporisation du côté de la ministre Aurore Bergé, pour qui François Bayrou « a plutôt hâte d’être devant cette commission pour dire la vérité ». Toute la vérité ? Dans cette audition, autant le factuel que les modalités de la ligne de défense de François Bayrou seront déterminantes. « On en a beaucoup parlé et je sais que j’ai confiance en lui, et demain je sais qu’il répondra à toutes les questions qui lui seront posées », a appuyé Emmanuel Macron, lors de son passage sur TF1 mardi soir.

Charge au Premier ministre d’être limpide sur le plan chronologique, et de s’inscrire moralement dans les évolutions sociétales en matière de violences éducatives. Les « corrections » – sadiques dans le cas de Bétharram – vues d’un bon œil il y a vingt ans, et qu’il « n’a pas su » , voulu, ou pu voir, n’ont plus droit de cité. « Là c’est l’accusé qui doit prouver qu’il n’a pas fait quelque chose, c’est évidemment un exercice difficile », a commenté le ministre Patrick Mignola.

« Ça continuera à lui coller à la peau »

Si de nouveaux éléments sont dévoilés, et qu’il adviendrait plus tard qu’il aurait menti devant la commission – passible du pénal -, ou pire qu’il savait pour les agressions sexuelles, l’affaire prendrait des allures funestes. En off, auprès du HuffPost, une ministre qui balaie tout mensonge de la part du Premier ministre, évoque néanmoins une image durablement écornée : « Il y a aura toujours un doute qui le poursuivra. Il a beau s’en défaire, la force des réseaux sociaux et la machine médiatique étant enclenchée, ça continuera de lui coller à la peau ».

Pour l’instant, François Bayrou n’est pas entravé sur le plan juridique, quant au dossier en lui-même. Bien que gênant, il apparaît moins comme un marqueur politique que le budget. Or c’est une véritable tempête automnale qui s’annonce côté finances publiques. Dans ce contexte déjà glissant, la bête politique de Matignon part affaiblie, son idée de référendum n’a guère fait mouche et le conclave sur les retraites pédale.

C’est finalement peut-être moins Bétharram que l’accumulation de griefs qui tenterait de nouveau certains, à moyen ou long terme, de vouloir lui donner le coup de grâce. « Bayrou a été nommé parce que la période était compliquée, malgré l’épée de Damoclès, il sait qu’il peut être censuré tous les jours, il avance », veut croire Maud Gatel. Reste à savoir jusqu’à quand.

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