Politique

Ce n’est pas un hasard si le RN se montre bienveillant envers le nouveau Premier ministre François Bayrou

POLITIQUE – « Il n’y aura pas de censure a priori ». Nommé Premier ministre ce vendredi 13 décembre, François Bayrou n’a pour l’instant rien à craindre du Rassemblement national, a confirmé son président Jordan Bardella. Autant pour préserver l’image du parti d’extrême droite qui se pique de « responsabilité » que parce que certaines attitudes du président du MoDem envers Marine Le Pen lui ont valu des hochements de têtes approbateurs de l’extrême droite.

À rebours de l’été 2024 où il avait été érigé en « arbitre » pour Matignon, le Rassemblement national a cette fois été exclu de l’équation, selon le souhait du président de la République. Pas question, a-t-il déclaré en substance, de compter sur la bienveillance supposée du parti d’extrême droite pour garantir le maintien en poste du Premier ministre. Le chef de l’État s’est donc tourné vers son allié du MoDem, un centriste qu’il espère capable de parler à une partie de la gauche sans négliger la droite.

Mais le Rassemblement national y trouve aussi son compte. Si Marine Le Pen a mis en garde contre « le prolongement du macronisme (…) qui ne pourrait mener qu’à l’impasse et à l’échec », les troupes lepénistes ne censureront pas « a priori ». Réagissant à la nomination du Palois, Jordan Bardella a surtout insisté sur « le dialogue nécessaire avec l’ensemble des forces représentées au Parlement » au nom du « respect » des électeurs, quels qu’ils soient.

« Le jour venu, il faudra s’en souvenir »

Ce discours, François Bayrou pourrait bien y souscrire, en témoigne un épisode marquant de la campagne présidentielle 2022. À cinq jours de la date limite pour recueillir les 500 signatures indispensables pour se présenter, la candidate du RN Marine Le Pen est en difficulté : il lui en manque encore 86. C’est là que François Bayrou décide de lui venir en aide.

« Je donnerai ma signature à madame Le Pen, annonce-t-il, non sans un petit pincement au cœur pour sauver la démocratie ». « Je considère que je ne peux pas défendre l’idée que le président de la République serait élu dans une élection de laquelle les principaux candidats seraient exclus », justifie-t-il, tout en rappelant que « signature ne fait pas soutien ». La suite est connue : Marine Le Pen passe le seuil de signatures requises, se qualifie pour le second tour et perd (encore) face à Emmanuel Macron. Mais le geste de François Bayrou a été enregistré : « Le jour venu, il faudra s’en souvenir », aurait-elle dit à ses troupes selon Le Point. Un renvoi d’ascenseur qui pourrait se faire dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, lors d’un éventuel vote de confiance ou de l’examen des textes budgétaires 2025, dossier prioritaire sur le bureau du nouveau Premier ministre.

S’il parvient à se maintenir à son poste assez longtemps, le nouveau chef du gouvernement pourra ensuite lancer un chantier qui lui tient à cœur : l’instauration de la proportionnelle aux élections législatives. Et là-dessus, il pourra compter sur le soutien de plusieurs partis, dont l’extrême droite. C’est « l’une des clés (…) pour dégager des majorités dans le cadre d’une révision du fonctionnement des élections », a souligné Jordan Bardella le 13 décembre, reconnaissant un point commun avec François Bayrou.

Avant de démissionner, Michel Barnier avait fait un pas en chargeant le politologue Pascal Perrineau d’une mission sur le sujet. Mais l’annonce de l’ex-Premier ministre avait été jugée insuffisante par les troupes lepénistes. Fervent défenseur du scrutin législatif proportionnel, François Bayrou pourrait aller plus loin que son prédécesseur et satisfaire ainsi cette requête devenue une exigence du RN dans ses tractations avec Michel Barnier.

Le RN « partenaire solide » de Bayrou mais pas sans condition

Reste un dernier point, qui a sans doute contribué à faire grimper la côte Bayrou dans le camp Le Pen : leurs ennuis judiciaires. Les deux ont comparu devant la justice pour des soupçons de détournement de fonds européens. En février 2024, François Bayrou avait été relaxé (mais son parti et plusieurs élus condamnés), avant que le parquet ne fasse appel. La date du nouveau procès n’a pas encore été fixée. Concernant Marine Le Pen, le parquet a requis en novembre l’inéligibilité avec exécution provisoire et cinq ans de prison dont deux ferme.

Cette demande d’inéligibilité, susceptible de priver Marine Le Pen d’une candidature à l’Élysée en 2027, avait déclenché la fureur du RN. Et valu à l’intéressée le soutien de François Bayrou, opposé à la demande d’exécution provisoire d’inéligibilité qui ne permet pas de faire appel de la décision. « J’ai combattu le Front national à toutes les élections et dans tous les débats, parce que je ne partage pas ses idées et encore moins ses arrière-pensées. Mais je pense que dans la situation qui serait ainsi faite, un certain nombre de citoyens considéreraient qu’il y a quelque chose qui biaise la vie démocratique », avait-il jugé le 24 novembre.

En dépit de désaccords de fond, « nous avons toujours eu des relations correctes » a réagi Marine Le Pen auprès du Figaro après l’annonce. Mais pas question pour autant de donner sa bénédiction à François Bayrou sans preuve : « Je ne défends pas mes intérêts personnels mais ceux des 11 millions de personnes qui ont voté pour nous », a-t-elle déclaré à la presse depuis Hénin-Beaumont. Son attitude vis-à-vis du nouveau gouvernement dépendra donc d’abord de « la construction du budget » à propos duquel le RN a redit ses lignes rouges. Avant l’annonce de l’Élysée, le vice-président du parti Sébastien Chenu assurait aussi que si François Bayrou « veut s’attaquer à l’immigration et protéger le pouvoir d’achat des Français, il nous trouvera comme des partenaires solides ». Nul besoin de préciser ce qui attend le nouveau locataire de Matignon dans le cas contraire, Marine Le Pen n’entendant pas « renoncer » à la censure, un « outil de protection du peuple français ».

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