Ce télescopage en librairie en dit beaucoup de l’évolution des Républicains
POLITIQUE – Il y a dix ans, Michel Barnier, Édouard Philippe et Éric Ciotti appartenaient à la même famille politique : Les Républicains. Une décennie plus tard, ce mercredi 4 juin, c’est pourtant bien séparées que ces trois personnalités issues de l’ex-UMP sortent des ouvrages politiques aux allures de manifeste.
Le premier, qui publie Ce que j’ai appris de vous chez Calmann-Lévy, évoque son (court) bail à Matignon. Un témoignage très personnel à travers lequel l’ex-Premier ministre livre ses réflexions sur son trimestre passé à la tête du gouvernement, jusqu’à la motion de censure qui l’a fait chuter. Pour le maire du Havre, qui sort Le prix de nos mensonges chez JC Lattès, il est davantage question de faire un diagnostic de l’état du pays et d’avancer des propositions afin d’accélérer dans la campagne à bas bruit qu’il mène dans l’optique de la présidentielle 2027.
Quant à Éric Ciotti, qui publie Je ne regrette rien édité par Fayard (récemment passé dans le giron de Vincent Bolloré), l’objectif est de justifier son ralliement à l’extrême droite après la dissolution et son alliance solitaire avec le RN, sans en aviser les cadres du parti dont il était pourtant président. Ce qui, au-delà des images cocasses, a brisé le tabou ultime de la droite dite « républicaine », qui a longtemps mis un point d’honneur à se tenir éloignée de l’extrême droite.
Virage idéologique et rétrécissement
Fruit du hasard, ce télescopage en librairies dit beaucoup de l’évolution de l’ex-UMP, qui est passé de parti de masse dans les années 2000 à formation d’appoint miraculée, à la faveur de législatives permettant à l’exécutif de garder (un peu) la main en s’alliant avec LR, plutôt que de confier le gouvernement à la gauche arrivée en tête. Le tout en opérant un virage idéologique qui l’a condamné au rétrécissement. Ce que racontent les trajectoires des trois auteurs du jour.
Prenons Édouard Philippe. Appartenant à la famille juppéiste, l’ancien Premier ministre incarne le courant libéral européen qui a parfaitement trouvé ses aises dans l’offre centriste proposée par Emmanuel Macron, chantre d’une économie libérale, rétif au conservatisme social et fervent défenseur de l’UE. Raison pour laquelle le maire (alors LR) du Havre et ex-secrétaire général de l’UMP a été le premier à franchir – avec d’autres – le Rubicon.
Jusqu’à créer, quelques années plus tard, son propre mouvement, Horizons, perçu désormais comme le flottant droit du navire macroniste. Une embarcation qui, en réalité, ne cesse de dériver sur sa droite. À l’inverse, Éric Ciotti faisait partie du courant conservateur et identitaire, ce qui l’a naturellement mené à soutenir François Fillon (rival d’Alain Juppé) lors de la primaire de la droite en 2016. Le député des Alpes-Maritimes est révélateur du glissement progressif qui s’est opéré au sein de cette famille politique, jusqu’à se retrouver dépourvue de son aile dite « orléaniste » (la droite libérale) et contrainte de singer l’extrême droite sur de nombreux sujets.
Un parti pris en étau
« Il se trouve que Les Républicains qui était le grand parti des libéraux européistes au début des années 2000 et qui s’est élargi du côté des nationalistes identitaires sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy est aujourd’hui pris en étau entre les deux grandes forces qui représentent les deux grandes familles des droites. D’un côté, ce qu’on appelle couramment la Macronie et de l’autre côté, le Rassemblement national et ses satellites », expliquait en 2024 Gilles Richard, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Rennes-II, au micro de France Culture.
Dans le fond, Éric Ciotti est juste allé eu bout de sa logique en rejoignant la force la plus compatible avec son courant, comme Édouard Philippe avant lui. À ceci près que le maire du Havre n’était pas patron du parti de droite (et donc garant de toutes ses sensibilités) et qu’il n’a pas quitté sa famille politique au prix d’un psychodrame terminant devant les tribunaux et de reniements spectaculaires. Et Michel Barnier dans tout ça ? À l’inverse des deux autres, le Savoyard est resté fidèle à son parti, et incarne le difficile entre-deux que certains s’efforcent de faire survivre au sein du parti, désormais aux mains du (très) conservateur Bruno Retailleau.
Une ligne consistant à ménager l’ADN européen de cette famille politique avec ses aspirations souverainistes et identitaires, parfois contradictoires avec le projet de l’UE. Le « négociateur du Brexit » incarne également la droite de gouvernement présentée comme « responsable ». Une position, revendiquée aujourd’hui par Bruno Retailleau, consistant à montrer aux électeurs que Les Républicains ne se contenteront plus de regarder passer les trains et de s’agiter bruyamment dans l’opposition. Qui plus est dans une période de crise budgétaire et d’instabilités internationales. C’est d’ailleurs ce que prônait de longue date le dernier président de cette famille politique, Nicolas Sarkozy. Ce qui revient, finalement, à réconcilier la droite conservatrice avec sa cousine libérale, grâce à laquelle elle revient aux responsabilités, en plaçant l’un des siens à Matignon. Une sorte d’UMP, canal historique, et hors les murs.