« C’est mauvais pour Marine » : pourquoi la victoire de Trump n’est pas une si bonne nouvelle pour Le Pen
POLITIQUE – Mercredi 9 novembre 2016. Les résultats de l’élection présidentielle américaine opposant Donald Trump à Hillary Clinton ne sont pas encore consolidés que Marine Le Pen ne cache pas son enthousiasme. « Félicitations au nouveau président des États-Unis Donald Trump et au peuple américain, libre ! », publie-t-elle sur Twitter, accompagnant ce message de ses initiales, histoire de souligner que c’est bien elle qui a tweeté en personne.
Huit ans (et le fiasco de 2020) plus tard, l’enthousiasme n’est plus le même. Sur le même réseau social, la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale se montre plus mesurée. « Les Américains se sont donné en toute liberté le président qu’ils ont choisi, écrit-elle, avant d’user un vocabulaire diplomatique convenu. Cette nouvelle ère politique qui s’ouvre doit contribuer au renforcement des relations bilatérales et à la poursuite d’un dialogue et d’une coopération constructive sur la scène internationale. »
Un changement de ton qui illustre autant son vif désir de normalisation qu’un souhait de tenir le fantasque président américain à distance.
La donne a changé
Pourtant, au Rassemblement national, d’autres ont du mal à contenir leur joie. Dans son propre parti, comme chez son allié Éric Ciotti, c’est un véritable sentiment de victoire par procuration qui s’exprime et qui rapproche, automatiquement, la responsable d’extrême droite à son homologue national-populiste américain. Après tout, le milliardaire n’a-t-il pas réussi à faire exploser un plafond de verre, en réalisant un come-back au nez et à la barbe de médias « hostiles » tout en défendant une politique farouchement xénophobe proche de ce que le parti lepéniste propose en France ?
« Donald Trump est à l’Amérique ce que Marine Le Pen est à la France », s’enflammait, la veille de la victoire du milliardaire, Pascal Praud sur CNews. Sauf que, si le tombeur de Kamala Harris a longtemps servi de modèle à la députée du Pas-de-Calais qui, rappelons-le, avait fait le siège devant la Trump Tower en 2017 dans l’espoir de recevoir (en vain) l’onction du milliardaire, la donne a changé. La gestion erratique de la crise sanitaire aux États-Unis doublée de l’invasion du Capitole (qui avait conduit Marine Le Pen en 2021 à admettre dans la douleur la défaite du républicain) ont conduit la présidente du groupe RN à l’Assemblée, en quête de respectabilité dans l’Hexagone, à progressivement prendre ses distances avec le milliardaire.
Du moins dans le discours, puisque ses alliés européens, de Matteo Salvini en Italie à Viktor Orban en Hongrie, saluent plus chaudement le retour du milliardaire à la Maison Blanche. Une position prudente totalement assumée par le conseiller spécial de Marine Le Pen, Philippe Olivier. « S’il l’emporte, il risque de prendre des mesures de rétorsion sur le vin français ou le Cognac. On aura l’air malin avec nos viticulteurs si nous l’avons soutenu… », expliquait-il au Point avant le scrutin.
Un sondage publié fin octobre par Elabe pour BFMTV avait aussi de quoi inviter à la mesure pour qui veut se « normaliser ». Selon cette étude, 64 % des Français souhaitaient une victoire de Kamala Harris, contre 13 % pour Donald Trump. Plus intéressant, seulement 30 % des électeurs du RN souhaitaient le voir revenir à la Maison Blanche (contre 46 % pour sa rivale démocrate). « Les électeurs du Rassemblement National ont, à des niveaux moindres, une meilleure image de Kamala Harris que de Donald Trump, ils la voient notamment comme une personnalité plus sympathique (56 % vs 16 %) et Donald Trump comme plus arrogant (64 % vs 14 %) et inquiétant (58 % vs 14 %) », soulignait encore Elabe.
« C’est mauvais pour Marine »
Des données qui permettent de comprendre pourquoi la cheffe de file du RN paraît se retenir de jubiler trop ostensiblement. « Politiquement, la victoire de Donald Trump c’est mauvais pour Marine. Parce que la propagande anti-Trump va rejaillir sur elle. Comme c’était le cas en 2017 », souffle carrément au HuffPost un familier du RN. D’autant que la victoire du magnat de l’immobilier signe le succès d’une stratégie qui est opposée à celle des leaders de l’extrême droite française.
Quand l’état-major du RN cherche à se normaliser, et a se débarrasser des oripeaux du populisme, Donald Trump a mené une campagne extrême, loin des médias traditionnels et ne reculant devant aucun excès… jusqu’à mimer des gestes obscènes en meeting. « Marine Le Pen s’efforce elle-même depuis quelques années de ne pas faire de la politique comme ça, précisément en soignant son langage, en faisant la chasse aux brebis galeuses, en normalisant ses propos vis-à-vis d’un certain nombre de minorités », souligne auprès de l’AFP le politologue spécialiste de l’extrême droite, Jean-Yves Camus, qui ajoute : « il peut y avoir une jubilation intérieure “les wokistes ont été défaits, la candidate racisée a été défaite” mais le RN n’a rien à gagner à le montrer parce que l’image de Donald Trump en France est très mauvaise ».
Dans ces circonstances, il est difficile d’imaginer en quoi Marine Le Pen pourrait directement tirer profit de la victoire d’un homme qui, jusqu’en 2027, aura plus d’une fois l’occasion de choquer l’opinion publique française, en défendant des positions très proches du RN et suscitant l’admiration de plusieurs élus lepénistes ou alliés à Marine Le Pen. À ce sujet, comment réagira l’électorat de droite modéré qu’elle convoite, quand des images de « la plus grande opération d’expulsion » de migrants (hommes, femmes et enfants) promise par Donald Trump (et si besoin avec l’aide de l’armée) traverseront l’Atlantique ? Comment l’électorat féminin, auprès duquel le RN a progressé durant les derniers scrutins, observera les probables reculs sur l’IVG ? Autant d’inconnues qui ne manqueront pas de tarauder le RN jusqu’en 2027.
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