Cette subtilité législative peut-elle arranger le PS sur la réforme des retraites ?
POLITIQUE – Derrière la communication, la cuisine parlementaire. Pour s’assurer de la non-censure du Parti socialiste, Sébastien Lecornu a annoncé lors de sa déclaration de politique générale la suspension de la réforme des retraites. Soit précisément ce que demandait le PS pour laisser une chance au Premier ministre de doter la France d’un budget.
Comme nous l’écrivions dès ce mercredi 15 octobre, le véhicule législatif par lequel le gouvernement entend aboutir à cette suspension est primordial. Au point que celui est à la source de la féroce guerre de récit entre La France insoumise et le Parti socialiste ces derniers jours.
En résumé : deux options étaient sur la table. La première est celle d’un texte à part, spécifiquement élaboré pour suspendre la réforme des retraites. Une hypothèse qui implique un vote à l’Assemblée puis un passage par le Sénat où, du fait d’une majorité de droite, le texte aurait de grandes chances d’être rejeté. Ce qui déboucherait ensuite sur l’instauration d’une commission mixte paritaire. Pas idéal pour un gouvernement et des socialistes qui veulent « aller vite » sur ce dossier, d’autant que l’heure tourne pour adopter le budget dans les délais.
L’autre option est celle d’un amendement gouvernemental au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026. Cette formule a la préférence du gouvernement, car cela sécurise en quelque sorte l’adoption du budget. En effet, si la suspension est comprise dans le PLFSS, le Parti socialiste se retrouve coincé, car dans l’obligation de voter l’ensemble de ce texte pour voir advenir ce qui est d’ores et déjà présenté comme une victoire.
Ce faisant, il apporterait ses voix à des mesures qui feraient fuir n’importe quel électeur de gauche, du gel des pensions de retraites à celui des allocations sociales en passant par la baisse du remboursement de certains soins, notamment pour les personnes atteintes de maladies chroniques. Le risque, donc, pour la formation d’Olivier Faure : se retrouver à soutenir un budget aux antipodes de ses idées, au seul motif que celui-ci comprend la suspension de la réforme des retraites. Et l’avantage pour le gouvernement : s’assurer un réservoir de voix pour faire adopter le PLFSS dans les règles de l’art, puisqu’il a annoncé renoncer à l’article 49-3.
« Lettre rectificative »
Or, ce samedi 18 octobre, le constitutionnaliste Benjamin Morel souligne qu’il existe une « troisème voie » pour aboutir à cette suspension. « Le gouvernement devrait faire une “lettre rectificative” permettant de compléter un projet de loi déjà déposé devant le Parlement, avant son examen par la première assemblée saisie », écrit sur X celui qui est maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas. L’intérêt de ce véhicule législatif : l’application de cette mesure en cas d’échec des discussions budgétaires à l’Assemblée.
Car les députés ont jusqu’au 31 décembre pour s’entendre sur la copie budgétaire finale. Si, d’ici cette date limite, aucune majorité n’est trouvée pour l’adopter, le gouvernement pourrait recourir à l’article 47 de la Constitution pour faire passer le budget par ordonnances.
Un cas de figure qui ne s’est jamais produit sous la Ve République, et qui provoquerait à coup sûr des accusations de « passage en force » à l’encontre de l’exécutif. Mais qui, paradoxalement, pourraît comporter un avantage pour le Parti socialiste. « Si le PLFSS originel était appliqué par ordonnance, il comprendrait alors la suspension de la réforme des retraites », explique Benjamin Morel. Résultat : les socialistes, ou tout autre partisan de cette suspension, seraient libérés de la contrainte de voter le budget de la Sécu pour faire adopter la suspension de la réforme des retraites.
Raison pour laquelle Marine Le Pen somme déjà Sébastien Lecornu d’agir ainsi, « pour garantir la viabilité juridique d’une suspension de la réforme des retraites avant son vote par l’Assemblée nationale ». Quant à Jean-Luc Mélenchon, il y voit un « un moyen d’obliger le gouvernement à tenir parole ».
Président LFI de la Commission des finances de l’Assemblée, Eric Coquerel juge « intéressante » la proposition faite le constitutionnaliste. « Le gros avantage, c’est qu’au cas où le Parlement se prononce “hors délai” de 50 jours, les ordonnances intégreraient cette lettre, contrairement à un amendement », reconnaît l’élu de la Seine-Saint-Denis.
Le parlementaire soulève toutefois un problème de fond : cela ne change rien à la copie budgétaire globale de l’exécutif, imbuvable pour n’importe quelle formation de gauche. En attendant, le Premier ministre envisage-t-il cette piste ? Contacté par Le HuffPost ce samedi, son entourage n’a pas donné suite.


