Politique

Cinq ans de prison pour Sarkozy, on a assisté à la fin d’un fauve sévèrement condamné

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POLTIQUE – Elle aurait pu commencer en faisant l’oraison funèbre de la dignité d’un ancien président, mais la présidente a choisi ce jeudi 25 septembre d’entamer l’audience de délibéré par la lecture de l’acte de décès de Ziad Takieddine. Hasard malicieux que Nathalie Gavarino n’a pas manqué de relever : l’ancien intermédiaire et véritable fantôme du procès libyen, est mort mardi dans le district de Tripoli, au Liban.

Tout un symbole qui ne manque pas de déclencher quelques sourires dans la salle du tribunal judiciaire de Paris, alors que les rangs du public et de la presse sont bondés, moyennant parfois près de deux heures d’attente. Après plus de dix ans d’enquête et de trois mois d’audience, il est temps pour la justice française d’offrir un premier épilogue à une affaire tentaculaire et dont il résulte désormais un jugement de plus de 400 pages.

Signe de la gravité du moment, les trois fils de Nicolas Sarkozy, Pierre, Jean, et Louis, sont arrivés ensemble. Les mains sur les hanches, le cadet vêtu d’un costume gris échange avec l’avocat Charles Consigny (conseil du prévenu Alexandre Djouhri), tout aussi friand que lui des plateaux télé, avant de claquer la bise à Brice Hortefeux et belle-maman. Sitôt arrivée, lunettes noires sur le nez, c’est auprès des enfants de son mari que Carla Bruni vient se serrer au deuxième rang. Et, alors que les travées bruissent de poignées de mains et de conjectures sur les peines à venir, le niveau sonore chute subitement lorsque Nicolas Sarkozy traverse la salle vers le banc des prévenus. Un contraste saisissant avec la discrétion de Claude Guéant, esseulé et presque chétif dans une nuée de robes noires et de rabots blancs.

Les justifications « fallacieuses » de Guéant étrillées

Des mondanités face auxquelles se déploie rapidement un jugement de plus de trois heures d’une grande technicité. Avec plus d’une dizaine de prévenus, la présidence fait d’abord le point sur la culpabilité et les relaxes, rappelant que le tribunal a été saisi de 68 infractions. De quoi offrir un répit au camp Sarkozy qui semblait presque soulagé d’apprendre que l’ancien président est relaxé des chefs de recel et de détournement de fonds publics, de corruption passive, et d’infraction au code électoral. Ne restant contre lui que la culpabilité d’association de malfaiteurs pour avoir « laissé ses proches collaborateurs et soutiens politiques sur lesquels il avait autorité » solliciter les autorités libyennes « afin d’obtenir ou tenter d’obtenir des soutiens financiers en Libye en vue d’obtenir le financement » de sa campagne de 2007.

Revenant sur les charges et les lignes de défenses des prévenus, la présidence démonte les explications « invraisemblables » de Claude Guéant sur la location d’un coffre-fort, tout comme sa « version qui défit toute logique », quand il assure avoir touché 500 000 euros grâce à la vente de deux tableaux. Une justification fallacieuse alors que la justice n’a retrouvé aucune trace de ces tableaux, et que prévenu comme acheteur, « chacun dit que c’est l’autre qui a proposé le prix ». De quoi susciter des sourires dans la salle.

Même sévérité quand il s’agit d’évoquer la montre Patek à plus de 10 000 euros offerte au même par Alexandre Djouhri. « Ce cadeau, c’est un test de la réactivité de Claude Guéant à la corruption (…) En acceptant il ne pouvait que comprendre qu’il serait redevable », insiste la présidente tout en rappelant les sphères de pouvoir dans lesquelles évoluait l’ancien bras droit de Nicolas Sarkozy.

Fallacieuses aussi pour le tribunal, les dénégations de Claude Guéant et Brice Hortefeux qui assurent avoir été piégés par Ziad Takieddine, lors de leurs rencontres avec le sulfureux Abdallah Senoussi. N’ont-ils pas continué à fréquenter le même Takieddine, lequel n’a d’ailleurs eu d’échange avec aucun autre ministère ? Pour le tribunal, il apparaît impossible que ces deux piliers de la Sarkozie n’aient pas informé le candidat putatif. « Il y a bien une entente entre Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, Claude Guéant et Ziad Takieddine », a insisté le tribunal.

Il suffit d’être deux pour une association de malfaiteurs

Sur les bancs des prévenus, Brice Hortefeux garde la main au menton, quand Nicolas Sarkozy échange parfois brièvement avec ses avocats. Seul Claude Guéant, dont la mine est aux dires de certains moins grise que pendant le procès, effectue régulièrement des allers-retours en dehors de la salle. Acte de foi ou ultime prière ? De nombreux avocats ont les mains jointes ou croisées tout au long de la lecture de Nathalie Gavarino.

La présidente rappelle qu’il suffit d’être deux pour qu’il y ait association de malfaiteurs, tout comme elle martèle à plusieurs reprises qu’un pacte de corruption n’a pas besoin d’être réalisé pour que le délit soit caractérisé. Et qu’à cet égard, si « la procédure n’a pas pu faire la démonstration que de l’argent parti de Libye soit arrivé dans la campagne », cela n’empêche pas l’existence d’un pacte.

Au ronron parfois jargonneux de près de deux heures et demi se substitue soudainement une ambiance beaucoup plus tendue pendant les 30 dernières minutes. Sitôt l’annonce des peines évoquée, près d’une quinzaine de policiers fait discrètement son apparition des deux côtés de la pièce. De mauvaise augure pour les prévenus. Et de fait, alors que les mandats de dépôts immédiats infligés à Alexandre Djouhri et Wahib Nacer sonnent l’auditoire, des policiers viennent immédiatement se placer à côté d’eux pour les déférer une fois l’audience levée.

Vient le tour de Nicolas Sarkozy à qui la présidente rappelle que « la gravité exceptionnelle » des faits « altère la confiance des citoyens ». Bras le long du corps dans son costume noir et dans un silence de plomb, l’ancien homme fort de la droite apparaît à la merci de la justice. « Vous avez préparé une corruption au plus haut sommet de l’État », pointe la présidente. S’il n’y a pas eu d’enrichissement personnel, Nicolas Sarkozy n’était pas seulement candidat mais aussi ministre au moment des faits. C’est légèrement penché que ce dernier se voit asséner cinq ans de prison et autant d’inéligibilité, ainsi qu’un mandat de dépôt différé avec exécution provisoire. Des mots qui génèrent dans l’assemblée un large murmure : « Dingue », « c’est fou ». Premier ex-président à écoper d’un bracelet électronique, Nicolas Sarkozy s’apprête à devenir le premier ancien chef d’État à séjourner en cellule. Celui qui avait habitué les médias à des rugissements et des moulinets lors du procès, retourne se rasseoir doucement non loin de son avocat. Comme un fauve déjà en cage.