Politique

Comment chaque parti politique s’approprie son agriculteur type

POLITIQUE – Dis moi l’appartenance syndicale de ton agriculteur en colère, je te dirai qui tu es. Depuis l’éclatement de la révolte du monde agricole, aucun parti politique ne veut prendre le risque de s’aliéner un mouvement qui continue de bénéficier du soutien massif de l’opinion.

Et si les écolos sont pris pour cibles dans certains discours, et que l’extrême droite est en embuscade en espérant tirer les marrons du feu, chaque formation trouve au sein de la contestation l’interlocuteur qui correspond à ses orientations politiques.

RN et Coordination rurale

Plusieurs exemples sont particulièrement parlants. À l’image de la Coordination rurale, courtisée par le Rassemblement national et dont certains membres ont des liens directs avec le parti lepéniste. À l’image du leader de la formation en Lot-et-Garonne, Serge Bousquet-Cassagne, dont le fils a porté les couleurs FN aux législatives. Lui-même annonce à Mediapart qu’il votera Jordan Bardella aux élections européennes. « Comme tous les Français, je partage 80 % des idées du FN. Et, bien entendu, je soutiens mon fils, car c’est mon fils. Mais je n’appartiens pas au FN », a-t-il détaillé auprès de Libération.

Il y a quelques jours, les eurodéputés RN ont reçu au Parlement européen une délégation de ce syndicat qui porte des idées souverainistes et anti-écolos très proches du discours tenu par Marine Le Pen sur le sujet. « Notre position, c’est la défense des fermes familiales, qui nous conduit à être contre l’industrialisation de l’agriculture, et pour la préférence communautaire », explique à Libération Véronique Le Floch, présidente de ce syndicat apprécié sur CNews.

Les actions menées par ses membres, plus musclées que celles de la FNSEA, résonnent avec le discours radical porté par le RN, à l’inverse d’une FNSEA jugée trop « molle » et trop complaisante avec les orientations prises par les gouvernements successifs. Preuve de cette proximité, le député RN de l’Aude Christophe Barthès, adepte des thèses climatosceptiques, est un ancien membre de la Coordination rurale, organisation dont il a été l’un des candidats pour les élections aux Chambres d’agriculture en janvier 2013.

La gauche et la confédération paysanne

De l’autre côté de l’échiquier politique, la gauche et les écologistes ont eux aussi leur agriculteur type. Si on devait faire un portrait-robot, on dirait qu’il s’agit d’un défenseur de l’agriculture biologique, pourfendeur de l’agro-industrie et des traités de libre-échange. Le tout, avec une forte coloration sociale portant des valeurs de solidarité et de partage. Ce qui, dans le monde agricole, se trouve du côté de la Confédération paysanne.

Il faut dire que l’un des pères de l’écologie politique française, José Bové, en était l’un des porte-parole entre 2000 et 2004. Et les drapeaux jaunes accompagnent souvent les mobilisations écologistes, comme à Sainte-Soline où le syndicat était présent pour manifester contre les mégabassines. Sans surprise, c’est donc à leurs côtés que les élus de gauche se pressent. Exemple ci-dessous avec Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, en Ile-et-Vilaine.

La Macronie hors des représentations syndicales

En se rendant en Haute-Garonne aux côtés de Jérôme Bayle, éleveur qui s’est imposé comme l’un des visages d’une contestation spontanée, Gabriel Attal a fait le choix d’une approche qui se passe de la médiation du monde syndical, lui-même divisé. Une stratégie qui peut s’expliquer par la volonté de percer le front de la contestation, tout en s’extirpant des agendas politiques et idéologiques de chaque formation agricole, puisque l’ex-rugbyman se disait « dégagé du discours syndical habituel ». De là à y voir une tendance macroniste à négliger les corps intermédiaires, il n’y a qu’un pas.

Car malgré l’effet médiatique, l’opération a mécontenté le premier syndicat du secteur, la FNSEA, qui a décidé en réponse de renforcer la mobilisation, qui prend désormais la direction de la capitale. Autre effet dommageable, les procès en trahison instruits par de nombreux commentateurs. Des attaques qui ont scandalisé le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. « Les attaques contre Jérôme Bayle sont dégueulasses. Mettre en doute sa sincérité, c’est mettre en doute la sincérité de l’ensemble des agriculteurs », a répliqué le ministre, en prenant la défense de l’éleveur bovin.

À droite, l’agriculteur « entrepreneur » et la FNSEA

Chez Les Républicains, l’interlocuteur agricole de référence reste la FNSEA, l’ex-député LR Éric Diard expliquait en 2019 qu’il s’agissait d’un « réflexe » au sein du parti de droite. Et certains ténors LR, à l’image de Gérard Larcher, n’hésitent pas à s’afficher aux côtés du premier syndicat agricole. Pas étonnant dans ces circonstances de constater que le Livre blanc du groupe LR à l’Assemblée nationale pour sortir de la crise reprend de très nombreuses revendications de la FNSEA.

Révélé par Le Figaro, ce document comprend l’abrogation des surtranspositions administratives, le rétablissement de la niche fiscale sur le gazole non routier, la facilitation des projets de stockages d’eau, la suppression du pourcentage de terres laissées en jachère prévu par le green deal, l’instauration d’un moratoire sur les interdictions de produits phytosanitaires ou encore le placement de l’office de la biodiversité (OFB) sous l’autorité des préfets.

Une vision de l’agriculteur « entrepreneur », à qui l’État devrait s’employer à simplifier la vie, en levant le pied sur les règles, qu’elles soient fiscales ou environnementales. « Un changement radical s’impose ! Nos agriculteurs, en tant qu’entrepreneurs, méritent d’être traités avec respect et rémunérés équitablement pour leur travail. Ils doivent avoir une liberté d’entreprendre, en s’appuyant sur leur bon sens paysan ! », plaident Les Républicains. Du Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, dans le texte.

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