Comment François Ruffin utilise le cinéma pour revenir en haut de l’affiche
POLITIQUE – L’automne a un goût de renaissance pour François Ruffin. Réélu de peu, grâce au désistement de la candidate macroniste aux législatives de juin, le député de la Somme est resté discret depuis. Mais c’est pour mieux revenir ce mercredi 6 novembre dans un rôle qu’il affectionne particulièrement : coréalisateur, avec Gilles Perret, de son nouveau film Au boulot !
Le synopsis est connu. En février 2023, François Ruffin lance un défi à Sarah Saldmann, avocate mais surtout chroniqueuse des Grandes Gueules sur RMC et qui n’a pas de mots assez durs contre les « assistés » : vivre un mois au SMIC. Ce sera finalement quelques jours, résumés en 1 h 30 d’un film qui surjoue le contraste entre l’avocate médiatique évoluant dans un milieu aisé et les gens « cassés », dixit François Ruffin lui-même.
Le long-métrage s’ouvre sur Sarah Saldmann, de dos et toute de noir vêtue, talons aiguilles et petit chien – Triomphe, apprend-on dans le générique – sur un pont de Paris. Quelques plans plus tard, la voilà (toujours en talons) dans la peau d’une chauffeuse livreuse. Puis dans une entreprise agroalimentaire de conditionnement de poisson fumé. Puis dans une exploitation agricole – terrorisée par les vaches à parquer. Puis dans un centre d’intégration d’un territoire Zéro chômeur. La caricature prête autant à rire qu’à pleurer. L’émotion domine quand Sarah Saldmann éprouve les difficultés mais aussi les bonheurs du métier d’auxiliaire de vie. Aussi quand Nathalie, licenciée à 45 ans, en invalidité et longtemps sans emploi, dit sa joie d’avoir trouvé un poste de femme de chambre et de pouvoir donner à son tour aux Restos du Cœur.
Un « manifeste politique » pour « les vrais héros »
Sarah Saldmann disparaît progressivement du film. François Ruffin s’en était expliqué en amont, évoquant une « rupture morale à cause de Gaza ». À l’écran, la brouille est évoquée de façon quasi anecdotique, dans un court dialogue avec Gilles Perret où le député balaie littéralement de la main les menaces de poursuite judiciaire de la chroniqueuse. Sarah Saldmann n’a jamais été le cœur du projet. Seulement un prétexte : « Oui, c’était le but, qu’on finisse par ne plus la voir », assume d’ailleurs le député dans une interview figurant dans le dossier de presse du projet.
L’objectif est ailleurs et Ruffin le reconnaît sans sourciller. Comme pour Merci Patron ! ou Debout les Femmes !, Au Boulot ! donne à voir le quotidien des Français « que l’on n’entend pas sur les plateaux télé ou sur les ondes radios », les « vrais héros » comme les présente l’élu.
Il l’assume tout de go sur France Inter le 4 novembre. Son film, qui n’est pas sans rappeler ses amendements « Vis ma vie » en 2017, est autant un « objet de fantaisie » qu’un « un objet politique ». « Il y a quelque chose qui est de l’ordre d’un manifeste politique », déclare-t-il. Quelques heures plus tard sur C à Vous, il va plus loin et soutient la comparaison de Patrick Cohen entre son film et un programme politique : oui, le film témoigne de son projet politique, « sans le dire, mais en le montrant. »
« Qu’est-ce que vous avez dans le film ? Une France rassemblée, humaine, fraternelle. Vous connaissez à quel point le travail est central dans ma conception. Je considère qu’aujourd’hui la gauche a pour devoir d’héroïser l’auxiliaire de vie, le manutentionnaire. Pas seulement en disant ’Le smic à 1 600 euros’ mais en donnant des noms, des prénoms, des lieux, des métiers. Je ne viens pas seulement dire ‘C’est ce qu’il aurait fallu faire’, mais je viens le faire ». Le message est clair : eux parlent, lui agit. C’est ce qui s’appelle avancer ses pions.
Tourner la page
Car le quatrième film de député de la Somme est aussi le moyen de tourner la page d’une séquence politique rude. Le soir des européennes (et de la dissolution prononcée par Emmanuel Macron), c’est François Ruffin qui prend la lumière en appelant au Nouveau Front Populaire. Toute la gauche s’y rallie, mais le divorce avec LFI n’est pas loin et l’intéressé s’efface. De toute façon, les négociations sur le programme et les investitures se font entre chefs à plumes. Il n’est pas un, et il a même tendance à fricoter avec les « frondeurs » insoumis. Ce qui ne l’empêche pas, à distance, de taper du poing sur la table.
Le député sortant s’insurge de l’investiture d’Adrien Quatennens et refuse celle du parti mélenchoniste. Le premier tour du 30 juin est une claque : le voilà devancé de 7 points par la candidate RN. Durant l’entre-deux-tours, il officialise la rupture avec Jean-Luc Mélenchon en faisant savoir qu’en cas de réélection, il ne siégera pas sur les bancs insoumis. Il récupère finalement son mandat mais la suite est un parcours d’obstacles : pour avoir accusé LFI de mener des « campagnes au faciès », il est sifflé à la Fête de l’Humanité et qualifié par ses anciens collègues de « fantôme de Doriot », dirigeant communiste qui a ensuite servi sous l’uniforme nazi. Ambiance.
Depuis, François Ruffin se fait discret. À l’Assemblée, où il siège dans le groupe Écologiste et social, le député n’a pris la parole qu’à quatre reprises, selon le décompte du site de l’institution, et une seule fois en séance. Sur X, ses publications récentes portent sur les temps forts de l’actualité : les jours de carences des fonctionnaires remis en question, les inondations en Espagne, la bataille de la gauche face au RN sur l’abrogation de la réforme des retraites, Sanofi… Mais aussi beaucoup sur sa tournée pour son film.
Marseille, Abbeville, Cachan, Grigny où une séquence d’Au Boulot ! a été tournée… Ces déplacements sont l’occasion d’échanger et de s’afficher aux côtés du maire ou des élus de la circonscription. Quelle que soit leur appartenance politique – dans les limites de la gauche. Ainsi, François Ruffin pose au côté du maire de la cité phocéenne Benoît Payan, de l’édile nantaise Johanna Rolland proche d’Olivier Faure et numéro 2 du PS, du député LFI Christophe Bex, de la députée Générations Sophie Taillé-Polian, du communiste Nicolas Sansu…
Le 2 novembre, François Ruffin revendiquait 12 000 spectateurs pour son film pas encore sorti en salle. Les avant-premières font salle comble, à en croire les publications sur les réseaux sociaux. Et ne sont pas sans faire penser à des meetings avant l’heure. Lundi 4 novembre, un sondage Ifop pour Sud Radio a placé François Ruffin comme la personnalité qui « incarne le mieux la gauche » pour les sympathisants/électeurs de gauche (61 %), un cheveu devant l’eurodéputé Raphaël Glucksmann (60 %). Comme le signe, pour lui, de continuer le boulot.
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