Politique

Comment le conflit au Proche-Orient mine l’unité de la gauche depuis le 7 octobre

POLITIQUE – Un an après, les plaies sont encore vives. La secousse du 7 octobre 2023 n’en finit plus de produire des répliques. Ce jour-là, au petit matin, des terroristes vêtus de treillis débarquent à moto et en camionnette dans le sud d’Israël pour massacrer tout une population. Le bilan est terrible : près de 1 200 personnes meurent et 250 sont retenues en otages. Très vite, les réactions affluent du monde entier. Partout, le même effroi, la même sidération, le même soutien aux familles de victimes. Au sein de la classe politique française, le drame a rapidement viré à la foire d’empoigne et aux règlements de comptes. Singulièrement à gauche, où les rancœurs enfouies ont ressurgi.

Quelques minutes après l’annonce des attaques, la France insoumise, alors premier contingent de gauche à l’Assemblée, sort un communiqué intitulé « Israël-Palestine : pour une paix juste et durable, stop à l’escalade ». Le groupe présidé par Mathilde Panot parle d’une « offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas » et resitue les attaques « dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est ». Jean-Luc Mélenchon publie un tweet dans la foulée, dans lequel il se dit « horrifié » et adresse ses « pensées » et sa « compassion à toutes les populations désemparées victimes de tout cela ».

Déjà, la machine est lancée. Le noyau dur insoumis refuse de parler de « terrorisme », ce qui impliquerait la lutte du bien contre le mal argumente Mélenchon, et se trouve acculé. Et ce ne sont pas les justifications (hasardeuses) convoquant le droit international qui suffisent à convaincre. Pour les socialistes, le morceau est dur à avaler. « Que certains à gauche parlent du Hamas comme des forces armées palestiniennes me dégoûte. Le Hamas est une organisation terroriste », réplique aussitôt l’ex-députée PS Valérie Rabault, sans nommer personne. Le 8 octobre, Jérôme Guedj est invité sur la radio de la communauté juive (RCJ). « Ça me dégoûte de voir et de constater que certains ont immédiatement été dans une forme de relativisme, de renvoi dos-à-dos, d’absence de ce minimum de compassion qui fait notre humanité commune », s’indigne le député de l’Essonne. Lui le grand défenseur de l’union de la gauche, qui réclamait encore quelques jours plus tôt une liste commune aux européennes, en arrive à considérer que « la question se pose » de rester ou non dans la Nupes.

« Faute politique »

Le 9 octobre se tient une manifestation de soutien à Israël à Paris, à laquelle participe le PS. Olivier Faure est chahuté, les manifestants lui reprochent de rester lié à LFI. Le lendemain, sur Public Sénat, le Premier secrétaire parle d’un désaccord « évident ». « La faute politique, c’est de ne pas avoir, dès le départ, reconnu qu’il y avait un acte terroriste, et d’avoir laissé penser que le Hamas pouvait représenter le peuple palestinien. Non, ce n’était pas un acte de guerre, c’était un acte terroriste qui méritait une condamnation claire, ferme ». Il ne remet pas (encore) en cause l’union de la gauche, mais assure « qu’il y aura des explications à avoir » entre partenaires.

Pourtant, la rupture est déjà consommée. Des figures unitaires comme Clémentine Autain ou François Ruffin tentent bien de rappeler que les divergences « ne sont pas insurmontables », que des mots d’ordre communs autour d’un cessez-le-feu immédiat, d’une libération des otages et d’une solution à deux États sont possibles. Mais le mal est fait. Chacun s’arc-boute sur ses positions. Les insoumis ripostent aux critiques du PS, et lui reprochent de chercher un prétexte pour faire éclater l’union. « Il est indigne de se saisir d’une crise internationale pour justifier de ses positions anti-Nupes. C’est un débat très politicien, qui paraît en décalage total. Je les appelle à plus de solennité », accuse alors le député LFI Paul Vannier. Olivier Faure le devine aisément : « Ces prises de position laisseront des traces ».

Si le sujet est aussi clivant pour la gauche, c’est parce qu’il embrasse des thématiques bien plus larges et structurantes. Et qu’il fait écho à de nombreuses questions qui se posent en France. Le conflit israélo-palestinien, réactivé le 7 octobre, interroge le rapport à la violence, questionne la méthode anticoloniale et renvoie à chacun à son identité et à la façon dont il se définit. Le dernier clou sur le cercueil de la Nupes sera donc enfoncé le 17 octobre. Ce jour-là, réunis en conseil national, les socialistes décident d’un « moratoire » sur leur participation à la Nupes. Manière de prendre leurs distances avec la direction insoumise sans acter la rupture nette et brutale. Les opposants internes d’Olivier Faure auraient pourtant préféré couper définitivement les ponts avec Jean-Luc Mélenchon.

En parallèle, les communistes adoptent aussi une résolution visant à construire « un nouveau type d’union ». Seuls les écolos semblent s’accrocher à la Nupes. Les députés conduits par Cyrielle Châtelain adressent une lettre à leurs partenaires, dans laquelle ils les appellent « au sursaut pour éviter le chaos ». Ils proposent l’instauration « d’une assemblée générale de l’ensemble des députés de gauche et écologistes » pour établir des « positions communes ». L’initiative restera lettre morte. Et la Nupes disparaîtra aussi vite qu’elle était née, dans le fracas des élections législatives de 2022.

Depuis un an, bien que les braises soient un peu retombées, le sujet demeure crispant. Les plus de 40 000 morts à Gaza, les privations d’eau, de nourriture et de l’électricité ainsi que l’intensification des bombardements ont ressoudé la gauche sur une dénonciation des abus de l’armée israélienne. Néanmoins, la campagne des élections européennes, au cours de laquelle LFI mise tout sur le conflit pour s’assurer des voix de la jeunesse et des quartiers populaires, complique l’unité. La présence à la septième place sur la liste insoumise de la juriste franco palestinienne Rima Hassan provoque des remous.

Poison lent

Du côté de Raphaël Glucksmann, accusé par LFI de se montrer complaisant à l’égard d’Israël, la campagne devient irrespirable. Le 1er mai à Saint-Etienne, c’est sous les cris de « Palestine vaincra » qu’il est pris à partie et exfiltré de la manifestation syndicale. Il pointe la responsabilité de LFI, qui dément. À Paris, c’est la candidate socialiste Emma Rafowicz, présidente des Jeunes socialistes, qui accuse la « LFI sphère » d’attaques antisémites, sur fond d’amalgames liés au conflit israélo-palestinien. Pour beaucoup, la gauche a atteint le point de non-retour, tant l’animosité sur le sujet est puissante. Mais le dimanche 9 juin, dans la foulée des résultats aux élections européennes plaçant Jordan Bardella très loin en tête, Emmanuel Macron dissout l’Assemblée nationale. Face au péril RN, les forces de gauche font le pari de l’union pour les législatives anticipées convoquées dans la foulée.

Au sein du Nouveau Front populaire, les négociations sont longues. Et les rancœurs, notamment sur le sujet, difficiles à solder. Mais Place publique, le Parti socialiste, les Verts, le Parti communiste et La France insoumise finissent par tomber d’accord, y compris sur l’international et le Proche-Orient. Leur programme partagé qualifie les actes du Hamas de « massacres terroristes » et appelle à « rompre avec le soutien coupable du gouvernement français au gouvernement suprémaciste d’extrême droite de Netanyahou pour imposer un cessez-le-feu immédiat à Gaza ». Un pas de géant à l’échelle des chapelles de la gauche, mais qui s’avère être le plus petit dénominateur commun pour préserver une unité fragile en ne froissant personne. Sauf que pour certains, l’alliance demeure impossible.

À l’image du socialiste Jérôme Guedj, qui fait campagne dans sa circonscription de l’Essonne en faisant bande à part. Le député appuie aujourd’hui toutes les initiatives de gauche appelant à la rupture avec Jean-Luc Mélenchon, dont il était proche autrefois. Mais dorénavant, il juge celui qui dissertait sur « la laisse de ses adhésions » comme étant « irrécupérable ». Un signe parmi d’autres qui montre que l’entente minimum sur le sujet demeure particulièrement fragile à gauche. Et que le dossier agit comme poison lent pour l’unité.

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