Comment le PS et la macronie ont lié leur destin sur le budget
POLITIQUE – Sont-ils condamnés à s’entendre ? Après huit ans passés en chien de faïence, à se renifler mais à se méfier et même à s’opposer frontalement, les socialistes et les macronistes sont rattrapés par le réel : une instabilité politique qui les dépasse. Actuellement, ils sont mus par l’objectif commun de doter la France d’un budget d’ici la fin de l’année. Un enjeu de « crédibilité » et de « responsabilité », répètent-ils.
Chez les socialistes, où l’on se revendique volontiers « parti de gouvernement », on est convaincu de la nécessité d’adopter un budget dans les meilleurs délais. Non pas tant par principe (quoi que), mais surtout parce que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) contient la suspension de la réforme des retraites. Présentée comme un trophée, cette concession majeure obtenue en échange d’une non-censure du gouvernement de Sébastien Lecornu a été intégrée sous forme de lettre rectificative. Ce qui signifie que même si les discussions se prolongent au-delà du délai de cinquante jours fixé par la Constitution, le gouvernement devra conserver la mesure dans ses ordonnances.
Dans le camp présidentiel, bien que la pilule de la suspension de la réforme des retraites, totem parmi les totems et symbole du second quinquennat d’Emmanuel Macron, reste difficile à avaler, on se réfugie derrière la nécessité d’avoir un budget. « C’est désormais la responsabilité collective du gouvernement et du Parlement de parvenir à l’adoption d’un budget », défendait la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon dans une interview au Parisien le 19 octobre.
« On ne demande pas au PS de devenir macroniste, assure l’ex-députée des Hauts-de-Seine. Faire des compromis, ce n’est pas se renier. Faire contribuer davantage les Français les plus fortunés, comme demandé par les socialistes, n’est pas incompatible avec le soutien à l’emploi, auquel le socle commun est attaché ». Un changement de pied notable par rapport aux derniers mois, où les socialistes étaient repeints en dangereux extrémistes, accusés d’être pieds et poings liés à La France insoumise.
Il y a bien sûr des figures, d’un côté comme de l’autre, pour qui ce dialogue et cette volonté commune d’avancer sont plus faciles. Ainsi, les socialistes Jérôme Guedj et Philippe Brun plaident depuis un an pour un accord de non-censure avec le « bloc central », convaincus qu’il s’agit de la seule solution pour dépasser le blocage. Désormais, la direction du PS est sur la même ligne.
« Pour la première fois depuis 1958, nous avons un Parlement libre. D’habitude, le gouvernement corrige avec le 49-3. Cette fois, nous allons y arriver », a déclaré Olivier Faure sur RTL, optimiste sur la possibilité d’adopter un budget. À condition que celui-ci soit débarrassé de ses mesures les plus irritantes, et qu’il soit donc acceptable pour des députés de gauche. Le Premier secrétaire du PS rappelle d’ailleurs que l’an dernier, le NFP avait réussi à décrocher de nombreuses victoires en commission et dans l’hémicycle, mais qu’elles avaient « toutes été balayées » ensuite par le 49-3. « La seule façon d’avancer, c’est d’accepter le jeu démocratique », juge Olivier Faure.
Un pari sacrément risqué
Le seul hic : sans s’en rendre compte, les socialistes et les macronistes ont lié leur destin. Ils sont dépendants les uns des autres. Les premiers ont besoin de décrocher la suspension effective de la réforme des retraites pour ne pas rentrer bredouilles auprès de leurs électeurs et devront donc tout faire pour que le PLFSS ne soit pas rejeté. Les seconds sont au gouvernement et ne peuvent pas se permettre de ne pas avoir de budget. Quand Emmanuel Macron a renommé Sébastien Lecornu à Matignon, il l’a expressément chargé de travailler là-dessus.
Ce n’est pas un hasard si les députés socialistes ne parlent plus de censure. Tout juste Olivier Faure promet-il d’avoir « un jugement extrêmement sévère » à l’égard du budget s’il n’était pas « corrigé ». Mais sans prononcer le mot interdit. Sauf si la suspension de la réforme des retraites n’était qu’un leurre ou une entourloupe, comme le croit une partie de la gauche.
Mais tous en conviennent : le pari est risqué. D’abord parce que cette mansuétude d’un groupe de gauche à l’égard d’un gouvernement aussi éloigné de lui politiquement n’est pas si courante dans l’histoire de la Ve République. Et ensuite, parce qu’à force de concessions et de compromis, le résultat final pourrait ne convenir à aucune des deux parties, qui jugeraient rédhibitoires certaines mesures retenues.
Le patron du groupe socialiste à l’Assemblée Boris Vallaud reconnaît auprès du HuffPost que « le risque est d’arriver à un budget qui ne sera votable pour personne ». Olivier Faure a d’ores et déjà exclu que le PS puisse voter pour le budget : ce sera soit l’abstention soit le vote contre. Reste à espérer que le RN s’abstienne également, permettant une adoption sans trop se mouiller.
Mélenchon fustige le « pacte Macron-Faure »
Le compromis peut durer des semaines, et se crasher aussi vite sous le poids des intérêts partisans. À cinq mois des municipales et dans un contexte de préparation tous azimuts à l’élection présidentielle, les logiques de partis pourraient vite reprendre le dessus.
À La France insoumise, on ne se prive pas de dénoncer ce « marchandage » et d’instruire un procès en trahison de la part d’un Parti socialiste qui, il y a un peu plus d’un an, se présentait devant les électeurs sous les couleurs du Nouveau Front populaire. Jean-Luc Mélenchon ne s’y trompe pas en parlant de « pacte Macron-Faure ».
Façon de ramener à lui des électeurs de gauche déboussolés. C’était aussi le sens de l’appel lancé par Mathilde Panot après le refus par le PS de censurer Sébastien Lecornu le 17 octobre. « Les insoumis présentent la vie politique comme si c’était un escape game géant mais nos votes ont des conséquences sur l’économie, sur les services publics et donc sur les gens. Il faut un budget. Or, il n’y a pas de budget qui peut être adopté sans les socialistes et il n’y aura pas de budget validé par les socialistes si il n’y a pas la suspension de la réforme des retraites dedans », riposte un conseiller PS.
Reste que la guerre est bel et bien déclarée. Le député LFI Paul Vannier accuse « le PS de permettre au gouvernement de baisser les pensions de tous les retraités pour compenser le décalage, pour une génération, de la réforme des retraites ». Ce dont est conscient Olivier Faure, qui préfère rappeler qu’en politique, « il faut faire des choix », surtout par temps agité. « Le choix de la facilité, c’est la posture. Celui de la responsabilité est souvent le plus compliqué ».


