Comment l’Élysée justifie la réception polémique du leader syrien par Macron
POLITIQUE – Une réception, et des explications. Emmanuel Macron va accueillir le président syrien Ahmad al-Chareh ce mercredi 7 mai à Paris, pour sa première visite en Europe, malgré les cris d’orfraie suscités par l’annonce de cette venue dans une partie de la classe politique.
Selon les mots de l’Élysée, ce rendez-vous « s’inscrit dans un engagement historique » de la France depuis 2011 en faveur des « aspirations du peuple syrien » pour un pays « libre, stable, qui vit en paix avec ses voisins ». Le président de la République va donc rappeler « ses exigences vis-à-vis du gouvernement syrien, au premier rang desquelles la stabilisation de la région et notamment du Liban, ainsi que la lutte contre le terrorisme ».
Autant de précautions suffisantes pour faire taire les reproches ? Et rassurer ceux qui dénoncent, avec cette réception, la « naïveté » du président français ? Rien n’est moins sûr, tant les critiques sont vives à propos de cette invitation lancée par la France dès le mois de février dernier, avant même l’installation de la coalition islamiste dirigée par Ahmad al-Chareh.
Pour la mettre en œuvre, la France a même dû demander une dérogation aux Nations unies, celui qui a longtemps été chef rebelle du groupe Hayat Tahrir al-Sham issu de l’ex-branche d’Al-Qaïda en Syrie, étant toujours visé par une interdiction de voyager. Il avait déjà obtenu de tels laissez-passer similaires pour ses précédents déplacements à l’étranger, en Turquie et en Arabie saoudite.
Le Pen et Ciotti dénoncent une « faute »
Dans ce contexte, Marine Le Pen a donc exprimé sa « consternation » et sa « stupeur » à l’annonce de cette visite. « Une fois encore, Emmanuel Macron abîme l’image de la France et discrédite son engagement, notamment auprès de ses alliés, dans la lutte contre l’islamisme », a écrit la cheffe de file du Rassemblement national sur X.
Pour elle, « recevoir un djihadiste passé par Daesh et Al Qaïda, autoproclamé président de la Syrie, alors même que les milices islamistes qui ont semé la mort parmi nos compatriotes au cours d’attentats sanglants, massacrent les minorités, relève de la provocation et de l’irresponsabilité. » Dans le même esprit, son allié Éric Ciotti dénonce, lui aussi sur les réseaux sociaux, une « faute » ou une « erreur fondamentale » de la part du locataire de l’Élysée.
Face à ces critiques choisies (l’extrême droite ne s’est pas fait entendre quand Emmanuel Macron a reçu, lundi soir, le leader de fait du Turkménistan, un des pays les plus autoritaires et fermés du monde), la diplomatie française défend la nécessité de dialoguer avec un des nouveaux acteurs majeurs au Moyen-Orient. Un pouvoir qui tente, par ailleurs, de présenter un visage rassurant, notamment à l’égard de la communauté internationale.
« Position historique » au « bénéfice des Français »
« Nos exigences d’hier (sous Bachar al-Assad) pour une Syrie libre, souveraine et pluraliste, sont les mêmes que nous continuons à défendre aujourd’hui », ont ainsi expliqué les conseillers d’Emmanuel Macron mardi, en se défendant de toute « naïveté » vis-à-vis du pouvoir syrien, lors d’un rendez-vous avec la presse dédiée à cette visite éruptive.
« Nous jugerons sur les actes », a encore expliqué la présidence, en évoquant notamment des enjeux « d’inclusivité des composantes de la société syrienne », « l’impunité » contre les individus coupables d’exactions, et des « actes concrets de lutte contre le terrorisme. » Une démarche « en cohérence avec la position historique de la France », insiste l’Élysée, et au « bénéfice des Français et de leur sécurité. »
Ne pas « dialoguer », « ce serait être irresponsable vis-à-vis des Français et surtout ce serait tapi rouge pour Daech », avait déjà indiqué le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot mardi matin, dans le même esprit. « La lutte contre le terrorisme, la maîtrise des flux migratoires, la maîtrise des trafics de drogue », ainsi que « l’avenir du Liban » voisin, « tout cela se joue en Syrie », avait-il insisté, en revendiquant une forme de pragmatisme dans ce dossier.
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De fait, la France se veut en première ligne dans ces deux pays sur lesquels elle a exercé un mandat colonial dans la première moitié du XXe siècle. Elle a organisé mi-février une conférence sur la reconstruction de la Syrie, dans l’espoir d’accompagner dans la bonne direction la fragile transition en cours.
Enjeux multiples
Il faut dire que les enjeux sont « énormes », toujours selon l’Élysée, au-delà même de ceux concernant la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Le président de la République pourrait par exemple discuter ce mercredi avec son interlocuteur de la levée des sanctions imposées au pouvoir de Bachar al-Assad, qui pèsent lourdement sur l’économie du pays, exsangue après 14 années de guerre civile. Selon l’ONU, 90 % des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté.
Une autre interrogation concerne plusieurs événements récents qui alimentent les doutes sur la capacité des nouvelles autorités à contrôler certains combattants extrémistes qui leur sont affiliés. En mars par exemple, des massacres ont fait 1700 morts, majoritairement alaouites, dans l’ouest du pays. Des exactions sur lesquelles Emmanuel Macron compte insister.
« Une commission existe déjà à la demande du président al-Chareh (…) On constate qu’il y a eu une série d’auditions, des familles de victime, un certain nombre de détenus ont été entendus… », explique encore l’Élysée, qui attend désormais de cette instance qu’elle « rende ses conclusions » et entraîne « des jugements. » De ces développements, dépendra notamment la reprise des activités diplomatiques de la France à Damas, ou la levée de certaines sanctions.
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