Politique

De la gauche aux syndicats, comment Bayrou a manœuvré son monde sur le conclave pour se protéger

POLITIQUE – En mars dernier, Le HuffPost se posait ici la question : le conclave, pire ou meilleur coup politique de François Bayrou ? Trois mois plus tard, l’analyse penche en faveur du flair du Palois. Alors que le conclave joue finalement les prolongations jusqu’au lundi 23 juin, le Premier ministre est parti, pour le moment, pour s’en sortir relativement indemne.

D’autant qu’un accord reste loin d’être scellé, les négociations entre la CFDT et le Medef achoppant sur la question de la pénibilité et de l’usure. D’un retour généralisé à 62 ans pour le départ à la retraite, il n’est de toute façon plus du tout question.

Quant à d’éventuels changements paramétriques, il n’est pas certain qu’ils nécessitent un passage devant le Parlement. « Tout dépendra si l’accord comporte ou non des dispositions législatives », a fait valoir ce week-end François Bayrou auprès de La Tribune Dimanche. Une stratégie du flou dont il a la parfaite maîtrise depuis son emménagement à Matignon, à dessein.

Diviser la gauche et verrouiller les débats

Avec cette grande conférence sociale, le Béarnais a fait d’une pierre deux coups. En proposant en janvier ce conclave, il s’est offert la non-censure du PS et une division du NFP, les insoumis enrageant de voir leurs alliés refuser de faire chuter le gouvernement. Il a par ailleurs donné l’impression de tendre à nouveau le bâton de parole aux syndicats, qui avaient jusqu’alors fustigé leur exclusion des discussions de la réforme Borne.

Dans la foulée, le Premier ministre a zigzagué sur un passage final dans l’hémicycle. Après avoir évoqué un vote à l’Assemblée seulement si les partenaires sociaux s’accordaient sur une réforme globale, il a rétropédalé quelques jours plus tard en proposant un nouveau projet de loi devant le Parlement, y compris sans accord global.

En parallèle, le Premier ministre a finalement donné peu de liberté aux négociateurs et imposé Jean-Jacques Marette comme médiateur, un énarque de 73 ans ancien directeur général de l’Agirc-Arrco, le régime de retraite complémentaire des salariés du privé. François Bayrou a par exemple verrouillé le cadre des discussions en excluant toute dégradation budgétaire, et en refusant à cet égard – contre l’avis des syndicats – que le rapport de la Cour des comptes censé constituer une base de travail du conclave n’évoque le scénario d’une abrogation de la réforme.

En excluant de toute façon dès le début la piste du retour aux 62 ans, le Palois a tracé une ligne rouge qui a fait sortir des négociations les syndicats les plus clivants sur la question, à savoir Force ouvrière et la CGT. Et, gage que le cadre était assoupli, même la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon a assuré fin mai que « la capitalisation n’était pas un tabou ». Dans un ultime geste, François Bayrou a également soumis l’idée cette semaine d’une « prime » pour maintenir les seniors en emploi.

Il faudra désormais attendre quelques jours avant de savoir si le Medef et la CFDT se mettent d’accord, mais un accord serait évidemment une réussite pour le Premier ministre. Dans le cas contraire, il pourra se prévaloir d’avoir essayé, renvoyer la responsabilité aux partenaires sociaux et faire éventuellement sienne cette citation d’Emmanuel Macron : « je ne dirais pas que c’est un échec : ça n’a pas marché ».

Des gages au RN et la voie réglementaire

D’autant que politiquement, le risque politique reste pour l’instant quasi nul. Alors qu’il avait promis dans sa lettre au groupe socialiste que « le Parlement aura en tout état de cause le dernier mot », François Bayrou continue d’esquiver. D’autant que si la voie réglementaire permet de modifier des paramètres, nul doute que le locataire de Matignon n’hésitera pas à s’en saisir, plutôt que de devoir passer devant les députés.

Si vraiment un éventuel accord nécessitait un passage dans l’hémicycle, François Bayrou aura le loisir d’en baliser le chemin. Interrogé par les socialistes à l’Assemblée mardi, il a rappelé que « si un nouveau texte est soumis au Parlement, il y a des dispositions dans notre droit qui empêchent le Parlement de dégrader l’équilibre budgétaire du système de retraite ».

En parallèle du conclave, le Premier ministre a par ailleurs fait gonfler la question budgétaire en annonçant la nécessité de faire 40 milliards d’euros d’économies en 2026. Un enjeu qui prend le pas sur le reste, et tant pis si la semaine dernière l’Assemblée a enfin pu voter une résolution symbolique contre la réforme de 2019, grâce à la niche communiste, comme Le HuffPost l’expliquait ici.

François Bayrou a aussi lancé au printemps des consultations sur l’introduction de la proportionnelle aux législatives, un gage pour le RN qui la réclame depuis longtemps. Le chemin est certes semé d’embûches avant une modification du scrutin, mais les troupes d’extrême droite ont tout intérêt à attendre la rentrée, alors que le gouvernement envisage un examen du texte en septembre.

Jordan Bardella laissait par ailleurs entendre cette semaine que son parti attendrait la séquence budgétaire pour le vote d’une éventuelle motion de censure. Même si les socialistes se décident pour cette éventualité, ou que la gauche à l’unisson répond présente pour voter la motion que La France insoumise entend déposer la semaine prochaine, François Bayrou a peu de risque de faire ses cartons pendant l’été. C’est déjà ça de gagné.