Politique

De la riposte au plan B, la condamnation de Le Pen fait ressortir le pire du RN

POLITIQUE – Back to claque. Bousculé par la condamnation de Marine Le Pen, en première instance, dans l’affaire des assistants parlementaires du FN, le Rassemblement national est au cœur de l’ouragan en ce printemps 2025. La candidature de sa figure de proue historique à la présidentielle est suspendue au procès en appel et à sa décision prévue l’été 2026.

D’ici là, rien ne va plus. Le jugement rendu par le tribunal de Paris le 31 mars, qui a provoqué une onde de choc dans la classe politique (française et ailleurs), marque un tournant dans l’histoire récente du parti d’extrême droite. Bien sûr, la fille de Jean-Marie Le Pen pourrait être empêchée de se présenter à l’élection suprême, un coup d’arrêt en soi. Mais bien au-delà, c’est toute l’attitude de son camp qui atteste de cette nouvelle donne.

En clair : les péripéties de la députée du Pas-de-Calais ont fait ressortir le pire du Rassemblement national, entre complotisme, amateurisme et spectre de lutte fratricide. Une rupture spectaculaire avec la stratégie de normalisation chère au parti ces dernières années, et le révélateur, peut-être, de ses faiblesses qui l’empêchent encore d’accéder à l’Élysée.

Du discours complotiste…

Lundi 31 mars. Marine Le Pen sort précipitamment du tribunal de Paris, où la présidente prononce une peine d’inéligibilité immédiate à son encontre, la mettant hors-jeu pour la prochaine présidentielle. Les heures qui suivent sont éloquentes. La cheffe du RN, ses lieutenants les plus proches et tout ce que le parti compte de cadres, tirent à vue sur les juges et la justice. Avec un niveau de violence inédit au sein du parti à la flamme ripoliné.

Cette défense qualifiée de « rupture » en terme juridique, parce qu’elle ne s’attache pas au fond du dossier, l’est tout autant sur la scène politique. De fait, les huiles du RN rivalisent de propos tranchés, parfois foutraques, souvent très proches du complotisme, contre l’institution judiciaire et des magistrats pourtant indépendants.

Depuis l’Assemblée, Marine Le Pen dénonce ainsi un « système qui a sorti l’arme nucléaire » pour l’abattre, quand ses soutiens les plus fervents rapprochent la France de la Hongrie, de l’Afrique du Sud ou de la Turquie, autant de pays réellement illibéraux. Parmi ses fervents défenseurs, Jean-Philippe Tanguy s’emporte par exemple contre « un quarteron de procureurs et de juges tyrans » qui « sortent du droit pour exercer une vendetta. » Rien de moins.

« Le Rassemblement national ne vous laissera pas voler l’élection présidentielle comme vous avez volé des dizaines de sièges lors des dernières législatives », fustige encore l’élu de la Somme dans l’hémicycle, en dressant un parallèle (fallacieux) entre la décision de trois juges indépendants, et le « barrage républicain », soit un jeu d’alliances électorales qui a éloigné le RN de la majorité en juin. En somme, du Donald Trump dans le texte.

… aux soupçons d’amateurisme

Symbole supplémentaire de ce dégoupillage au RN (qui réactive l’imaginaire du « système », pourtant banni depuis des années), plusieurs élus franchissent la ligne rouge. C’est le cas, par exemple, de Guy-Olivier Cuénot (en Nouvelle-Calédonie) qui se réjouit alors publiquement des menaces (nombreuses et violentes) proférées à l’égard des juges. Ou de ce responsable du RN en Aveyron, qui juge bon de comparer la condamnation de Marine Le Pen à la « solution finale », référence explicite à la Shoah et à l’extermination des Juifs par le régime nazi. Sans vergogne… ni remords ?

Force est de constater que le Rassemblement national, après plusieurs jours d’offensive tendancieuse tout début avril, réduit la voilure dans ses attaques contre la justice. De crainte d’être associé peut-être à ses soutiens étrangers les plus sulfureux, Vladimir Poutine ou Donald Trump. « Avec cette ligne radicale, difficile de prétendre remporter une présidentielle ou obtenir la majorité à l’Assemblée nationale », fait ainsi valoir Mathieu Gallard au HuffPost. Il n’empêche.

Les heures qui suivent sont marquées par d’autres difficultés pour Marine Le Pen et son camp. Tout aussi âpres. Pour cause, après avoir réactivé les discours les plus triviaux, cette condamnation jette la lumière sur l’amateurisme et l’impréparation qui traverse le parti d’extrême droite. De quoi alimenter un reproche tenace, éprouvé à chaque échéance cruciale.

Ici, c’est la défense – aussi brinquebalante que virulente – mise en place dans les médias, et les atermoiements autour du « plan B » qui en témoignent. Jugeant inconcevable la condamnation (et l’inéligibilité) de Marine Le Pen avant le jugement, les cadres se retrouvent forcément bien dépourvus une fois la bise venue. Récemment encore, comment justifier par exemple, que la moitié des personnes condamnées en compagnie de Marine Le Pen fin mars ne font pas appel ? Et acceptent leur peine, donc leur culpabilité ?

Le spectre de la lutte fratricide

Pour dissiper ce halo de doutes, il n’est pas anodin de voir la cheffe de file du RN essayer de donner quelques gages de clarification, et de sérieux. Désormais, ses proches laissent effectivement entendre à la presse que c’est bien Jordan Bardella qui prendrait la relève en cas de condamnation à l’été 2026. Pourtant, la députée du Pas-de-Calais avait rechigné, jusqu’ici, à parler franchement de l’hypothèse que représente son dauphin. Au point d’user parfois de formules peu amènes à son égard.

« L’élection présidentielle, c’est une élection intuitu personae. Ce n’est pas une élection de parti, mais de personne. Il n’est pas question aujourd’hui d’envisager un plan B avant même d’être allé au bout du plan A », expliquait-elle par exemple début avril dans les colonnes du Parisien.

D’ailleurs, les marinistes continuent d’évoquer Jordan Bardella du bout des lèvres, et avec beaucoup de pincettes : oui, il est le remplaçant officiel de la patronne. Mais non, il n’aura pas besoin de faire son entrée sur le terrain. Dès lors, difficile d’éloigner pour de bon un autre spectre classique (et ravageur) à l’extrême droite : celui des luttes fratricides.

Selon le récit de plusieurs médias, les ressentiments grandissent entre Marine Le Pen, Jordan Bardella et leurs entourages respectifs. Des questions de ligne et d’organisation politique, qui viennent souligner l’absence de démocratie interne au RN, premier parti de France. Et qui pourraient finir par rappeler que l’une des scissions les plus douloureuses à l’extrême droite ces dernières années, en 1997 entre Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen, a commencé par l’inéligibilité qui frappait le second. Le pire est encore à venir ?

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