D’où vient ce procès fait à la gauche sur les JO (et pourquoi il est infondé)
POLITIQUE – La musique de fond a tellement gagné en volume qu’elle a conduit plusieurs parlementaires à siffler la fin du match. En cause, un procès instruit contre la gauche, accusée de négliger les Jeux Olympiques, voire le sport en général. Une sorte de rengaine, entonnée avec des termes et des motifs sensiblement différents, du Rassemblement national jusqu’à la Macronie, en passant par plusieurs observateurs du débat public.
L’un des messages les plus partagés est signé Philippe Marlière, politologue et enseignant à l’University College de Londres. Sur X, le chercheur (pourtant classé à gauche) affirmait sans trop de nuances que « la gauche française méprise le sport de compétition “capitaliste”, alors que les JO sont aussi un moment de joie et d’élan populaires ». Une analyse applaudie par le député RN Matthias Renault. Qui ajoute : « La gauche n’a jamais aimé la compétition sportive, sauf lorsqu’il s’est agi de célébrer des régimes communistes. Entre la critique du chauvinisme, de l’héroïsme, des parades populaires et de la sélection : tout ce qui lui échappe et contribue à la communauté nationale est honni ».
De quoi faire tweeter la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin qui rappelle sur X l’engagement de personnalités socialistes pour que les JO se tiennent à Paris.
La gauche méprise-t-elle le sport ?
Alors, la gauche méprise-t-elle vraiment le sport, au point de se trouver incapable d’apprécier les Jeux olympiques de Paris ? S’il est vrai qu’il peut exister à gauche des réserves sur des valeurs véhiculées dans certains milieux sportifs, comme le culte de la virilité ou la réactivation de réflexes nationalistes, ou sur les conditions dans lesquelles les compétitions s’organisent (au prix de sacrifices sociaux ou environnementaux), il est pour autant difficile de faire de la gauche une famille anti-sport.
Outre le fait que le tout premier sous-secrétariat d’État aux Sports (ancêtre de l’actuel ministère des Sports) a été créé en 1936 par le gouvernement du Front populaire, de nombreuses personnalités de gauche expriment à haute voix leur soutien à la pratique et à la compétition olympique. On peut citer, dans le désordre, l’ex-LFI Alexis Corbière, le socialiste Jérôme Guedj, l’insoumise Manon Aubry et tous les élus franciliens impliqués (socialistes, communistes, écologistes etc.) qui se félicitent régulièrement de l’événement.
« Nos champions sont le fruit d’un service public du sport (associations, collectivités etc.), largement soutenu et défendu par la gauche », rappelle par ailleurs au HuffPost le journaliste Nicolas Kssis-Martov, auteur du livre Terrains de Jeux, Terrains de Luttes, sorti aux éditions de l’Atelier en 2020. « La gauche et ses intellos sont ceux qui pensent, écrivent et construisent le plus sur le sport », ajoute celui qui officie également au sein de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), organisation ouvrière et antifasciste fondée en 1934.
Pourquoi cette réputation anti-sportive ?
Mais alors pourquoi une telle réputation anti-sportive ? La réponse est peut-être à aller chercher du côté de la France insoumise, qui a annoncé le 25 juillet à la veille de la cérémonie d’ouverture, « une commission d’enquête populaire sur les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris ». Une initiative étrillée sur la forme par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, mais qui a aussi déclenché une vague d’indignation dans le camp présidentiel, qui estime que la formation mélenchoniste verse dans le populisme anti-JO à des fins politiques.
En cause, l’accusation selon laquelle ces Jeux « exacerbent les travers et les dérives de la politique d’Emmanuel Macron » et l’assertion expliquant que la compétition « n’a plus rien à voir avec la cohésion et le plaisir du sport » mais « consacre le business ». Or, l’engouement constaté dans les rues, comme dans l’audimat, suffit aux défenseurs du chef de l’État pour affirmer que les conditions d’organisation des JO ne souffrent d’aucun défaut. Et que le succès de la compétition devra naturellement rejaillir sur le locataire de l’Élysée.
« Je ne sais pas vous, mais je sens que “la commission d’enquête populaire contre les JO 2024” de LFI va faire… pschit ! », a ironisé sur le réseau social X le député Renaissance de Paris, Sylvain Maillard, en publiant un cliché de l’ambiance survoltée constatée samedi dans les rues de Paris à l’occasion de l’épreuve de cyclisme. Comme si le succès de l’événement suffisait à gommer toutes critiques sur l’organisation des JO ou l’omniprésence du chef de l’État sur place.
Outre l’annonce de cette commission d’enquête, les responsables insoumis sont régulièrement accusés de ne pas faire la démonstration d’un enthousiasme débordant à l’égard des performances françaises. Voire de vouloir gâcher la fête en dénonçant, comme l’a fait le député LFI Arnaud Saint-Martin, une couverture « chauviniste » de l’événement par le service public, ce qui serait annonciateur d’une « régression nationaliste » au sein de la société. D’autres, à l’égard de la députée Ersilia Soudais, ont dénoncé des « JO de la honte », en s’affichant aux côtés du collectif « Le Revers de la Médaille », qui déplore l’expulsion de plus de 12 000 sans-abri en Île-de-France en raison des JO.
Quand Manon Aubry veut commenter le water-polo
Sur son blog, Jean-Luc Mélenchon (qui n’est pas connu pour être un grand amateur de sport en général) a surtout disserté sur la cérémonie d’ouverture, qu’il dit avoir appréciée. Pour autant, tous ces éléments suffisent-ils à faire de LFI (et de toute la gauche par extension) un repaire d’anti-JO primaires ? S’il est probable que le camp mélenchoniste est sans doute celui qui est le moins branché sport de l’échiquier politique et qui se montre le plus critique sur le coût social des compétitions d’envergure, c’est un peu court.
Sur ses réseaux sociaux dimanche 4 juillet, l’élu insoumis David Guiraud a souhaité « bon courage à nos athlètes » en leur demandant de « continuer à nous rendre fiers, de Riner à Barbelin, de Marchand à Apithy-Brunet ». Fan de natation et adepte du water-polo qu’elle continue de pratiquer, l’eurodéputée LFI Manon Aubry a quant à elle soutenu que « le sport populaire, outil d’émancipation, est plus que jamais un objectif politique de gauche ! ».
La présidente du groupe de la gauche radicale au Parlement européen a même proposé ses services à France Télévisions pour commenter les épreuves de sa discipline, qu’elle juge invisibilisée.
Pas vraiment des positions de responsables anti-sports. En outre, lorsque la maire de Paris Anne Hidalgo critiquait les « peines à jouir » qui émettaient des critiques sur l’organisation des Jeux, l’édile socialiste répondait à… une élue Renaissance. De quoi inciter à la prudence ceux qui affirment, un peu vite, que la gauche a le monopole des esprits chagrins.
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