En choisissant la proie facile des fonctionnaires, l’exécutif s’expose à plusieurs risques
POLITIQUE – Les syndicats avaient senti le coup. En apprenant la nomination du très libéral Guillaume Kasbarian au ministère de la Fonction publique en septembre dernier, après un bail remarqué au Logement, nombreux acteurs et fonctionnaires ont dénoncé une « provocation », un « mauvais signal » et une « honte » au sommet de l’État.
Un mois et demi plus tard, difficile effectivement d’être optimiste. Le ministre reçoit les syndicats ce jeudi 7 novembre pour essayer de calmer leurs courroux face à ses mesures chocs pour contrer ce qu’il voit comme un phénomène d’« absentéisme » et contribuer à la baisse des dépenses publiques prévues dans le Budget. Il veut notamment allonger le délai de carence pour les arrêts de travail et moins les indemniser. Du miel dans l’oreille de l’opinion publique.
Pour Guillaume Kasbarian, la proie est effectivement facile. Son plan d’action a tout pour répondre à une antienne tenace dans la population selon laquelle les fonctionnaires sont aujourd’hui des personnes privilégiées qui peuvent bien se serrer la ceinture, par quel bout que ce soit. Pour preuve, 67 % des Français approuvent le tour de vis défendu par le gouvernement. De quoi dégager la voie vers cette réforme majeure ?
Mauvais arguments
En réalité, rien ne sera si simple. Tout d’abord parce que le ministre de la fonction publique peine à cacher le caractère assez injuste de sa feuille de route, malgré les trésors d’argumentation déployés pour son service après-vente. Guillaume Kasbarian voulait aligner les conditions de travail des agents dans le public sur celles des salariés dans le privé. Il risque de les rendre encore moins favorables.
Dans le détail, le gouvernement ne veut plus rembourser les deuxième et troisième jours d’arrêt maladie des fonctionnaires. C’est le délai de carence, qui est déjà de trois jours dans le privé, comme le précise le ministre de la fonction publique. Ce qu’il oublie en revanche régulièrement de dire, c’est que la grande majorité des entreprises pallient la perte de revenu induit par ce grand principe de « carence » .
Selon une étude réalisée en 2017, 63,5 % des salariés sont indemnisés par leurs employeurs, sur tout ou partie de ces trois premiers jours d’arrêt maladie. Avec ces nouvelles règles, les fonctionnaires seraient donc effectivement alignés, comme le souhaite Guillaume Kasbarian… Mais sur les 30 % des salariés les moins bien lotis en France.
Des effets pervers ?
C’est peu ou prou la même logique qui accompagne la deuxième mesure phare dégainée par le ministre « consultant en stratégie » de profession : le rabotage de l’indemnisation en arrêt maladie (100 % aujourd’hui) à 90 % du salaire. Comme c’est le cas dans le privé, explique-t-on là aussi au gouvernement, sans préciser que 70 % des salariés bénéficient d’accords de branche qui leur permettent de toucher l’intégralité de leur rémunération.
Dans ce contexte, les potentiels effets pervers d’un tel chambardement sont nombreux. On peut par exemple évoquer l’augmentation des arrêts maladie de longue durée, avec des fonctionnaires qui hésiteraient à s’arrêter pour se soigner sur une journée, mais qui serait contraint de prendre davantage de repos si le mal dégénère. Qui n’a pas connu ce rhume non traité, devenu bronchite quelques jours après ?
On peut également citer la perte de productivité d’un agent contraint de se présenter au travail souffrant, celle de ses collègues qui pourraient être contaminés à leur tour. Ou le refus de s’intéresser aux causes réelles des arrêts de travail. Autant d’effets indésirables qui laissent planer le spectre d’une stratégie contre-productive pour lutter contre ce que Guillaume Kasbarian appelle « l’absentéisme. »
Attention aux vocations
Mais il y a encore plus délicat. Avec ce plan, le ministre prend le risque de porter un coup majeur à l’attractivité des métiers de la fonction publique. Fâcheux quand les crises de vocation touchent l’éducation nationale, le secteur de la santé, et bien d’autres ; difficile à assumer, aussi, face aux souffrances réelles et nombreuses du côté des policiers ou des professeurs.
Certes, les aspirants fonctionnaires ne fondent pas leur future carrière sur leurs potentiels avantages statutaires. Néanmoins, il pourrait être encore plus difficile de convaincre les jeunes de se tourner vers ces métiers, déjà moins bien lotis que le secteur du privé en termes de rémunération, de prime ou d’avantage sociaux. Car les conséquences concrètes du projet Kasbarian seront massives.
Prenons l’exemple d’un professeur en deuxième partie de carrière. Après cinq ans d’études et de nombreuses années devant les élèves, celui-ci peut espérer environ 2 200 euros net par mois. S’il est absent deux jours sur un mois, il perdra presque 400 euros de rémunération. Ceci, même si son absence est justifiée par un médecin et un arrêt maladie.
Dans ce contexte, c’est aussi le risque d’un mouvement social d’ampleur qui guette. Le gouvernement, déjà bousculé à l’Assemblée sur son budget, serait sans doute bien inspiré de s’éviter une telle gronde et des mobilisations dans la rue. D’autant qu’il apparaît assez clair que les effets pervers de ses mesures peuvent toucher, en bout de course, l’ensemble de la population – par ailleurs très attachée à ses services publics. En somme, la proie est peut-être facile. Mais le débat reste miné.
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