Politique

En pactisant avec Le Pen, Ciotti brise le tabou ultime de la droite et la fait exploser

POLITIQUE – Sur le fond, le mouvement ne surprend pas grand monde, tant Éric Ciotti n’a cessé de dériver vers l’extrême droite, jusqu’à en partager une importante part du programme. Sur la forme en revanche, c’est un véritable séisme que vient de provoquer le patron des Républicains. En annonçant ce mardi 11 juin au 13 heures de TF1 qu’il avait scellé une alliance avec le Rassemblement national, le député sortant des Alpes-Maritimes a piétiné ce qui restait de la digue séparant sa formation du parti lepéniste, et fait exploser sa famille politique.

Une décision à rebours de la tradition du parti gaulliste que les coups de pression mis en amont de sa prise de parole par Laurent Wauquiez, Olivier Marleix, Valérie Pécresse, Jean-François Copé ou Xavier Bertrand n’ont pas réussi à empêcher. « Nous avons besoin d’une alliance, en restant nous-mêmes », a ainsi justifié Éric Ciotti, en présentant sa manœuvre comme une volonté de préserver le groupe des 61 députés LR.

Revirement spectaculaire

Un prétexte. Puisque de nombreux parlementaires de son camp, à commencer par le patron du groupe LR Olivier Marleix, avaient fait savoir en amont qu’ils refuseraient toute compromission avec le parti lepéniste. Ce qui s’est confirmé après le séisme du 13 heures. « Éric Ciotti n’engage que lui. Il doit quitter la présidence des Républicains », a réagi, dans un tweet lapidaire, Olivier Marleix.

La raison du choix d’Éric Ciotti est dès lors peut-être à chercher du côté de sa ville de Nice, où Jordan Bardella a obtenu 32,28 % aux élections européennes. Très loin devant le candidat LR François-Xavier Bellamy qui, avec 8,81 %, a fait moins bien que Marion Maréchal. Avec, pourquoi pas, l’espoir d’obtenir un joli ministère en cas de victoire du RN le 7 juillet.

Car nous parlons ici d’un revirement spectaculaire au profit du RN. Le genre de mouvement qui est rarement gratuit en politique. « Je ne voterai jamais Marine Le Pen, le Front national, le Rassemblement national, est l’adversaire et même l’ennemi de la famille gaulliste », affirmait Éric Ciotti il y a trois ans à peine, s’enorgueillissant d’avoir battu à plusieurs reprises le parti à la flamme tricolore dans les Alpes-Maritimes. Las, avec un Rassemblement national à plus de 30 %, le patron de LR considère qu’une alliance, brisant un tabou ultime à droite, vaut bien l’explosion de sa famille.

Il n’y a qu’à regarder les réactions provoquées par sa déclaration. Président LR du Sénat, Gérard Larcher a appelé à la démission d’Éric Ciotti. « La droite française, celle du Général de Gaulle, de Chirac, de Sarkozy, n’est pas celle de la compromission. Ceux qui hier nous ont menés à la débâcle sont prêts à tout pour sauver leurs indemnités. Il n’y a de liberté que dans l’indépendance », a renchéri le député LR du Pas-de-Calais Pierre Henri-Dumont. Car en plus de trahir sa parole, comme nombre de ses propres parlementaires, le député des Alpes-Maritimes rompt avec l’un des fondements majeurs de l’identité de son parti.

Transgression morale

Parmi eux, le refus catégorique d’admettre l’extrême droite dans le champ républicain. Soit le principe qui avait guidé Jacques Chirac lorsqu’il avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen lors de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle 2002. Une référence morale dans cette famille politique, comme le montre cette archive partagée en réaction par le maire LR de L’Haÿ-les-Roses Vincent Jeanbrun. On y voit l’ancien chef de l’État tenir des propos on ne peut plus clair : « Tout, dans l’âme de la France, dit non à l’extrémisme. »

Résultat de cette transgression morale, qui se fait par ailleurs au prix de renoncements programmatiques (comme la réforme des retraites), plusieurs adhérents du parti expriment leur incompréhension sur les réseaux sociaux, à l’image de ces militants qui publient des photos de leurs cartes déchirées. « Nous savons désormais qu’en juin 1940, Éric Ciotti n’aurait jamais traversé la Manche », a taclé le député LR de l’Aisne, Julien Dive, alors que les appels à la démission pleuvent. Alors que la fracture s’aggrave au sein de son propre camp, le député des Alpes-Maritimes peut compter sur le soutien d’un seul homme, le patron des Jeunes LR Guilhem Carayon.

« Nous faisons le choix du courage et du bon sens. Un choix approuvé par des millions de Français. Il faut écouter le peuple qui n’en peut plus de la politique de Monsieur Macron. Le France d’abord, la France toujours », a tweeté celui qui a accentué le tournant identitaire du parti de droite et qui posait en Une de L’Incorrect avec le patron des jeunes du RN et celui du mouvement de jeunesse accompagnant Éric Zemmour, Stanislas Rigault. Ça fait court comme soutien, surtout lorsqu’on se souvient que l’intéressé est le fils de Bernard Carayon, lui-même élu en 1995 maire de Lavaur (Tarn) à la tête d’une de liste de droite comptant des soutiens du Front national.

Cité par Le Monde, le député Ian Boucard estime que les deux tiers des troupes LR à l’Assemblée s’opposent à l’alliance annoncée par le patron du parti. « Je ne sais pas à qui Éric Ciotti a pu parler dans notre groupe. Nous sommes déjà une quarantaine sur 61 à avoir condamné cette annonce ». Après son passage télévisé de ce mardi, de nombreuses figures LR ont demandé aux instances du parti de se réunir en urgence. Au Palais du Luxembourg, deux sénateurs ont annoncé quitter Les Républicains : Sophie Primas, vice-présidente du Sénat et Jean-François Husson, rapporteur général du Budget. Preuve que l’heure est grave, les ténors du parti signent une tribune dans Le Figaro, dans laquelle ils dénoncent « l’impasse » de la stratégie d’Éric Ciotti. Parmi eux, son prédécesseur Christian Jacob, mais aussi Michèle Tabarot, considérée comme proche du président du parti, tout comme le maire de Troyes François Baroin. Difficile d’imaginer que l’ex-UMP sorte indemne de la période. Ni même en vie.

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