En renonçant au 49-3, Lecornu préfère la « rupture » sur la forme plutôt que sur le fond
POLITIQUE – Cadeau de bienvenue. En amont de la réception du Rassemblement national, du Parti socialiste, des Écologistes et du Parti communiste à Matignon ce vendredi 3 octobre, Sébastien Lecornu a réservé une petite surprise à ses invités : l’engagement à ne pas recourir à l’article 49-3, permettant habituellement de faire adopter un texte sans vote de l’Assemblée en engageant la responsabilité du gouvernement.
Inédite sous la Ve République, cette promesse figurait en haut de la pile des revendications socialistes. Le parti dirigé par Olivier Faure, comme le Nouveau Front populaire avant lui à travers Lucie Castets, s’était lui aussi engagé à ne pas utiliser cette arme constitutionnelle dans l’objectif d’aller chercher des accords à l’Assemblée nationale.
« Nous sommes dans le moment le plus parlementaire de la Ve République », a justifié le Premier ministre, ne souhaitant manifestement pas se retrouver dans la même situation que Michel Barnier l’an passé. Après cette courte allocution, son entourage s’est chargé d’en faire le service après-vente auprès de la presse. « On assiste à une déresponsabilisation progressive des parlementaires avec les usages récents du 49-3. Le débat ira donc jusqu’au bout, à l’Assemblée et au Sénat. Chacun pourra y défendre ses convictions, et – dans la plus grande des clartés et sous le regard des Français – trouver des compromis », explique-t-on à Matignon, où l’on estime que les lignes rouges budgétaires tracées çà et là « doivent trouver une issue au Parlement ».
De quoi contenter la gauche ? Pas vraiment. « C’est un début d’inflexion mais ce qu’attendent les Français, ce sont des mesures de justice fiscale », a réagi Marine Tondelier à son arrivée à Matignon. « La méthode ne peut pas se substituer au fond. C’est un leurre qui n’est pas acceptable », a réagi dans la foulée sur LCI le député socialiste Arthur Delaporte, soulignant que cette annonce ne renverse d’un coup de baguette magique l’initiative politique sur le budget.
« Leurre » et « entourloupe »
À titre d’exemple : la révision de la réforme des retraites. Adoptée (au forceps) par le biais d’un Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, la loi Borne devrait revenir par le même véhicule législatif pour être modifiée par les parlementaires. Or, Sébastien Lecornu l’a répété (sans surprise) ce vendredi : il n’est pas du tout question de revenir dessus. De quoi relativiser la portée de ce changement de méthode si la copie de départ corsète la marge de manœuvre des députés sur le budget ? À voir.
Car de l’avis du constitutionnaliste Benjamin Morel cité dans L’Opinion, la décision prise par le Premier ministre « ouvre la voie à tous les compromis sur le budget ». Selon le spécialiste, « quelle que soit la copie budgétaire déposée, elle sera amendable à merci, et la version qui prévaudra sera celle choisie par l’Assemblée nationale ». Impossible, en revanche, de remettre en question la réforme des retraites, puisqu’un tel amendement devra passer par le filtre de l’article 40, obligeant les parlementaires à « gager » toute disposition qui aurait un coût pour les finances publiques.
Raison pour laquelle Yaël Braun-Pivet avait déjà jugé irrecevable une proposition de loi visant à abroger le texte (malgré le feu vert donné par la commission des finances de l’Assemblée). Autre difficulté, l’article 45 de la Constitution, celui relatif aux « cavaliers législatifs », soit des amendements dont l’objet est jugé trop éloigné du texte mis à l’examen. « Si on n’a pas de prise offerte par le texte initial, on ne peut pas introduire nos mesures. C’est pour ça que c’est une entourloupe », déplore auprès du HuffPost une source socialiste à l’Assemblée, qui souligne que la copie transmise à la Cour des comptes par Sébastien Lecornu commence à fuiter dans Paris.
À quand la rupture de fond ?
« Et de ce qui nous remonte, ça ressemble très fort au budget de François Bayrou », poursuit notre interlocuteur, qui estime que le Premier ministre « déplace le débat » sur la méthode, alors que « c’est d’abord du fond dont il est question ».S’il se félicite de voir Sébastien Lecornu « rendre la balle » au Parlement, le secrétaire général du Parti communiste Fabien Roussel veut toutefois s’assurer « qu’il n’y a pas d’arnaques » sur les intentions de dialogue affichées par le Premier ministre.
De l’autre côté du spectre, Marine Le Pen ne dit pas autre chose, affirmant à sa sortie de Matignon que c’est d’abord la déclaration de politique générale de Sébastien Lecornu qui conditionnera (ou non) la censure de ses troupes, et non cette annonce sur l’article 49-3. Quant à la France insoumise, elle ne dévie pas de sa position dégagiste. Manuel Bompard, coordinateur national du mouvement mélenchoniste, juge que la promesse faite par le chef du gouvernement ouvre la voie à une alliance entre la Macronie et le RN, la formation d’extrême droite ayant à ses yeux acté un « tournant libéral », matérialisé cette semaine par l’arrangement tacite observé au Palais Bourbon sur la redistribution des postes clés à l’Assemblée. Preuve s’il en est que les promesses sur la forme suffisent rarement à régler les problèmes… de fond.


