En voulant faire payer la prison, Darmanin en pleine surenchère face à Retailleau
POLITIQUE – Un peu nostalgique de la place Beauvau, Gérald Darmanin ? Le ministre de la Justice, challengé depuis des mois par l’envolée médiatique de son confrère de l’Intérieur, Bruno Retailleau, n’a visiblement pas perdu la main en matière d’annonce un brin populiste. Et tant pis pour la réalité du terrain. Invité du JT de TF1 ce lundi 28 avril, le Garde des Sceaux a dit vouloir de nouveau faire contribuer les détenus à leurs frais de détention.
« Aujourd’hui, le fonctionnement de nos prisons coûte 10 millions d’euros par jour, quasiment 4 milliards d’euros par an. Les détenus doivent contribuer aux frais d’incarcération », a-t-il expliqué, tout en justifiant de mettre en place un montant symbolique, « pour qu’on arrête avec une sorte de laxisme qui existe dans nos prisons françaises ».
Qui, combien, à quelle fréquence ? Gérald Darmanin, dont le collègue à Beauvau profite lui de chaque fait divers pour marteler son volontarisme politique en matière d’ordre, a renvoyé la question à son soutien à une future proposition de loi portée par les parlementaires. On rappellera à ce titre qu’une PPL avait déjà été déposée en ce sens en 2018. Elle était signée Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan.
Des détenus en grande situation d’indigence
D’autant que le dossier est plus technique qu’il n’y paraît avec in fine une obole qui ne devrait pas représenter une grande source d’économies pour les finances publiques. Comme l’a rappelé lui-même Gérald Darmanin jusqu’en 2003, les détenus payaient des frais d’incarcération. Mais pas tous : seuls ceux qui travaillaient dans le cadre de leur détention se voyaient prélever quelques dizaines d’euros chaque mois.
Le prélèvement a été suspendu pour encourager les détenus à travailler, ce qui n’est aujourd’hui le cas que d’un tiers d’entre eux, selon l’Observatoire international des prisons (OIP). Quand le gouvernement voudrait porter ce chiffre à 50 %. Par ailleurs, les salariés en prison ne touchent qu’entre 20 % et 45 % du Smic, selon les taches.
Surtout, c’est aujourd’hui pas loin d’un quart de la population carcérale qui se trouve en situation d’indigence avec moins de 60 euros à disposition chaque mois. Pour ces personnes en grande précarité, c’est l’administration pénitentiaire qui fournit produits d’hygiène et vêtement, ainsi qu’une aide pour cantiner de 30 euros par mois.
La France condamnée pour ses prisons
À quel « laxisme » fait par ailleurs référence Gérald Darmanin, celui de l’État français ? Car en matière d’oisiveté, c’est la France qui a été condamnée pour surpopulation carcérale et conditions de détention indignes. L’année dernière, l’hexagone franchissait pour la première fois le seuil de 80 000 détenus, avec une densité carcérale globale de 128,5 % au 1er novembre. Dans certains établissements, le taux de remplissage a atteint les 200 % et, selon l’OIP, plus de 4 200 personnes dorment sur un matelas à même le sol.
« Quand vous visitez un endroit qui est occupé à 250 %, bourré de vermine, vous pensez que ça vaut une participation ? », a d’ailleurs répliqué dès ce mardi sur franceinfo, Dominique Simmonot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Et de détailler : « Être entassés à trois dans une cellule qui fait 9 mètres carrés, aux murs des punaises qui vous bouffent les bras et des cafards qui grouillent partout, des rats… ». Même scepticisme exprimé par Eric Dupond-Moretti, qui y voit une « hérésie », et chez François Molins. « La priorité dans les prisons elle n’est pas là. La priorité est d’avoir suffisament de places pour héberger les gens, de leur offrir des conditions de dignité qui soit acceptables. Je rappelle que la France a été condamné plusieurs fois par la Cour européenne à l’occasion de conditions de détention », a cinglé sur BFMTV l’ancien procureur.
Il faut dire que la prison est un tremplin médiatique dont Gérald Darmanin se passe rarement. En février dernier, il n’avait pas hésité à rebondir sur une information montée de toutes pièces par un syndicat et reprise en fanfare par l’extrême droite qui dénonçait alors « une prison Club Med ». En cause, des massages soi-disant offerts à des détenus pour la Saint-Valentin. Immédiatement, le Garde des Sceaux a annoncé dans une circulaire la fin de toutes les activités ludiques en prison, hormis le sport, l’éducation, et l’apprentissage du français.
Sauf qu’il n’y a jamais eu de massage sur les détenus, il s’agissait simplement « d’une intervention d’étudiantes en école d’esthétique venues, bénévolement, donner des conseils de soins », en vue de la réinsertion, a expliqué à France 3 un représentant syndical à l’Unsa Justice. De là à y voir une forme de laxisme avec la vérité des faits…
À voir également sur Le HuffPost :
La lecture de ce contenu est susceptible d’entraîner un dépôt de cookies de la part de l’opérateur tiers qui l’héberge. Compte-tenu des choix que vous avez exprimés en matière de dépôt de cookies, nous avons bloqué l’affichage de ce contenu. Si vous souhaitez y accéder, vous devez accepter la catégorie de cookies “Contenus tiers” en cliquant sur le bouton ci-dessous.