François Bayrou a-t-il vraiment d’autres atouts pour réussir là où Michel Barnier a échoué ?
POLITIQUE – Michel Barnier et François Bayrou ont beaucoup de points communs. Ils ont le même âge. Ils naviguent aux responsabilités depuis des décennies. Ils ont une haute opinion d’eux-mêmes et de ce que doit être un bon Premier ministre. Ils sont convaincus que leur longue expérience leur permet de déjouer les pièges de la politique politicienne.
Les deux se perçoivent comme des hommes de dialogue, capables d’échanger avec tout le monde, extrême droite comprise. L’un est Savoyard, l’autre Béarnais. Sur le perron de Matignon ce vendredi 13 décembre, le premier a remis les clés du gouvernement au second, dans un contexte de marasme politique qui tend à tourner en crise de régime. Quatre Premiers ministres en un an. Un record.
« Nul plus que moi ne connaît la difficulté de la situation », a affirmé François Bayrou. « Nous sommes dans un moment grave », avait quant à lui prévenu Michel Barnier lorsqu’il se trouvait dans la même position il y a trois mois, promettant déjà de tendre la main à toutes les bonnes volontés : « le sectarisme est une preuve de faiblesse ». Un trimestre plus tard, le Palois utilise le même vocabulaire, affiche les mêmes ambitions et assure pouvoir réussir là où l’homme du Brexit a échoué. Mais alors, quelles sont ses qualités qui auraient fait défaut à Michel Barnier ?
La carte macroniste
Première différence : l’étiquette politique. Président du MoDem, François Bayrou est partie prenante du camp macroniste. Et même si son groupe à l’Assemblée nationale pèse moins que celui qui soutenait Michel Barnier (36 députés MoDem contre 47 LR), il est perçu par les élus Renaissance et Horizons comme l’un des leurs, ayant contribué par son ralliement décisif à la victoire d’Emmanuel Macron en 2017. Ce qui, a priori, devrait éviter à François Bayrou les mauvaises manières faites à Michel Barnier, par Gabriel Attal ou Gérald Darmanin.
Du moins en théorie. Parce que si la gauche hors LFI attend de juger sur pièce avant de promettre une censure automatique, la clémence de ne sera pas gratuite. Ce qui obligera François Bayrou à faire un pas vers le Nouveau Front populaire. Or, sans remise en question (même partielle) de la réforme des retraites ou mise en place d’une contribution sur les superprofits pour financer un ISF climatique, difficile pour le Béarnais de garantir la mansuétude de la gauche.
Problème : si le MoDem est la composante du camp macroniste la plus ouverte sur ces deux sujets, les troupes de Gabriel Attal sont pour le moment inflexibles sur leurs dogmes. Charge à François Bayrou de trouver une formule qui convienne à la gauche et réponde efficacement à la brûlante urgence du déficit. Le tout sans mettre le feu au camp présidentiel. Soit précisément l’équation que Michel Barnier n’a pas réussi à résoudre. D’autant que le nouveau Premier ministre n’est pas forcément en odeur de sainteté chez Les Républicains, où certains lui reprochent encore d’avoir choisi François Hollande face à Nicolas Sarkozy en 2012.
Lignes rouges
Lors d’une réunion de groupe ce vendredi, les députés menés par Laurent Wauquiez ont acté qu’ils conditionneront leur participation au « projet » que présentera François Bayrou. Même chose pour le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui exige des « garanties » pour rester au gouvernement. Parmi elles, « être confirmé dans la feuille de route qui était la sienne », a expliqué l’entourage du Vendéen. Ce qui comprend la remise sur l’ouvrage d’une nouvelle loi immigration reprenant les parties du précédent texte censurées par le Conseil constitutionnel. Ou encore le refus de « marqueurs de gauche trop forts », notamment la remise en cause de la réforme des retraites.
Des conditions qui semblent, à ce stade, incompatibles avec ce réclame la gauche hors LFI pour bénéficier de sa tolérance. Parmi lesquelles on peut citer accessoirement la reconduction de Bruno Retailleau place Beauvau. « Je ne dirais pas qu’on va censurer a priori, mais je commence à avoir des a priori de censure », a réagi ce samedi 14 décembre sur France inter la cheffe du parti écologiste Marine Tondelier, au sujet du « choix » fait par François Bayrou de consulter en premier le ministre de l’Intérieur. Les Premiers ministres changent, mais les lignes rouges demeurent. De quoi promettre à François Bayrou le même destin que celui de Michel Barnier ? À voir. Car le nouveau chef du gouvernement semble, pour le moment, obtenir une sincère bienveillance du Rassemblement national, quand le Savoyard ne pouvait compter que sur sa méfiante indulgence.
Injonctions contradictoires
Au cœur de cette attitude clémente selon L’Express, la promesse expresse faite par François Bayrou à Marine Le Pen d’agir rapidement sur l’instauration de la proportionnelle, quand Michel Barnier se contentait de commander une mission sur le sujet. Certes, le MoDem et le RN partagent cette revendication depuis des années. Pour autant, l’engagement pris par téléphone par le nouveau Premier ministre ressemble fort à un « deal » passé avec la présidente du groupe d’extrême droite. Or, c’est exactement ce que refuse le Parti socialiste qui, dans son communiqué, affirme qu’il n’acceptera pas que François Bayrou « dépende de quelque manière que ce soit » du parti lepéniste.
Dès lors, difficile pour François Bayrou de concilier ces injonctions contradictoires et d’éviter les impasses dans lesquelles s’est retrouvé Michel Barnier avant lui, vu qu’il semble impossible à ce stade d’acheter la clémence de la gauche sans perdre la droite, ou de gouverner avec LR sans froisser considérablement la gauche. Sauf s’il s’agit, comme l’a tenté Michel Barnier avant lui, de compter sur le RN pour durer : un parti qui (tourné exclusivement sur la présidentielle) a déjà fait la démonstration de sa non-fiabilité. Après sa nomination, François Bayrou a repris cette citation qu’il a attribuée à François Mitterrand après sa victoire en 1981 : « enfin, les ennuis commencent ». Le sujet aujourd’hui n’est pas quand ça commence, mais quand ça finit.
À voir également sur Le HuffPost :
La lecture de ce contenu est susceptible d’entraîner un dépôt de cookies de la part de l’opérateur tiers qui l’héberge. Compte-tenu des choix que vous avez exprimés en matière de dépôt de cookies, nous avons bloqué l’affichage de ce contenu. Si vous souhaitez y accéder, vous devez accepter la catégorie de cookies “Contenus tiers” en cliquant sur le bouton ci-dessous.