Il y a 20 ans, le référendum sur l’Europe redessinait aussi le paysage politique en France
POLITIQUE – Comme elle semble loin cette photo de Nicolas Sarkozy et François Hollande, alors respectivement patron de l’UMP et du PS, côte à côte à dans Paris Match. Les deux futurs présidents posaient pour le « oui » au référendum de 2005 lequel devait entériner la Constitution européenne. La suite est connue : le « non » l’emporte nettement, et le traumatisme est tel qu’aucun autre scrutin du genre n’a été utilisé depuis, et ce n’est pas faute d’en avoir facilité le recours.
Surtout, 2005, en suscitant des batailles rangées jusque dans les recoins de tous les partis, a donné naissance à de nouveaux clivages. En désaccord avec la gauche du « oui » de François Hollande, Jean-Luc Mélenchon a par exemple quitté le PS pour fonder quelques années plus tard le Front de Gauche puis La France insoumise. Marine Le Pen, partisane du « non », (et dont vous pouvez retrouver le clip de campagne ici sur le site de l’INA) a soutenu, un temps, avec son ex-bras droit Florian Philippot un « Frexit », en prolongement de cette bataille. À droite, Nicolas Dupont-Aignan a quitté l’UMP pour fonder plus tard Debout la France et se rapprocher du Front national, avant de virer europhobe viscéral.
C’est tout un nouveau pan de la vie politique qui s’est solidifié autour de cette « France du non » avec, dans la foulée, l’installation d’un nouveau clivage politique structurant, analysent pour Terra Nova, Yves Bertoncini, consultant en Affaires publiques et européennes, Bruno Cautrès, chercheur CNRS au CEVIPOF, et Thierry Chopin docteur en science politique.
« Gilet-jaunisation latente » de la vie politique française
Dans un article publié fin mai, les trois auteurs reviennent en longueur sur l’émergence dès la fin des années 90 du clivage entre « universalisme » et « anti-universalisme », et qui s’est manifesté dans le vote de 2005. Il ne s’agit plus de dire « oui » ou « non » à l’intégration européenne, mais plutôt de questionner comment elle se fait. Avec, à gauche, des craintes sur le plan du social et de l’emploi et, du côté de l’extrême droite et de la droite, des inquiétudes en matière d’immigration et d’identité nationale.
Ce que d’autres observateurs de la politique, comme Jérôme Fourquet, direct à l’IFOP, ont aussi traduit comme un clivage entre les « gagnants » et les « perdants » de la mondialisation. Ce nouvel « axe » n’a pas remplacé le traditionnel clivage gauche-droite mais il s’y est superposé. D’autant que l’adoption quelques années plus tard du traité de Lisbonne, a démonétisé la valeur du vote des Français via le référendum, et continué d’installer cette défiance envers une classe politique jugée incapable de respecter le jugement populaire. Nourrissant au passage les discours du Front national d’alors contre « L’UMPS ».
« Il y a eu cette idée que le référendum n’était de toute façon plus une voie, à partir du moment où on était gouverné par une forme “d’élitocratie”, qui allait de toute façon, droite et gauche confondues, prendre les rênes du pouvoir », explique auprès de l’AFP la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina, évoquant une « gilet-jaunisation latente » de la vie politique française, avec un nouveau clivage opposant « le peuple » aux « élites ». « La crise des Gilets jaunes a mis en exergue la force du clivage exprimé sur la dimension sociale des craintes vis-à-vis de l’intégration européenne », abondent également les auteurs dans Terra Nova.
Une fracture qui se poursuit
À cet égard, notent-ils, la proposition d’Emmanuel Macron en 2017 était une tentative de « solder les comptes » de ce précédent. « En affirmant un projet politique entièrement construit sur l’idée d’atténuer la tension née du clivage sur l’Europe et de sa difficile articulation avec le clivage gauche-droite, Emmanuel Macron a tout simplement voulu rabattre le second sur le premier. Proposant aux “universalistes” de gauche et de droite de se réunir dans une nouvelle synthèse politique », observent encore Yves Bertoncini, Bruno Cautrès et Thierry Chopin.
De quoi aussi aboutir à la tripartition que l’on connaît aujourd’hui : avec le Rassemblement national qui prône une forme de « social-nationalisme », quand gauche mélenchoniste capitalise « sur le thème du “déni de démocratie”, et sur l’opposition de franges de l’électorat (par exemple les jeunes diplômés qui ont un sentiment de déclassement) à une Europe perçue comme imposant ses règles “libérales“ ». Soit précisément ce que dénonçait la gauche du « non » en 2005.
« J’ai vraiment le sentiment que depuis 2005, cette fracture n’a pas été reconstruite », résume Anne-Charlène Bezzina. De fait, même si l’idée de rompre avec des traités européens pèse moins dans l’espace politique de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine Le Pen, à gauche le mouvement de Raphaël Glucksman s’inscrit, toujours, en plein dans la gauche du « oui ». Et gage que son clivage est toujours susceptible d’être brandi ou réactivé : en pleine poussée droitière sur le régalien, et au détriment d’ailleurs de la place importante de LR au sein du PPE, Gabriel Attal n’hésitait pas à dire ce week-end que LR et Bruno Retailleau (lui même ancien du MPF de Philippe de Villiers partisan du « non » en 2005) n’étaient pas « pro-européens », contrairement à Renaissance. Preuve que ces fractures restent vivaces.