Politique

La loi permet-elle vraiment à Retailleau d’interdire les drapeaux palestiniens en mairie ?

MUNICIPALITÉ – Pas si vite. Alors qu’Emmanuel Macron doit reconnaître officiellement l’État de Palestine lundi à New York lors de l’assemblée générale des Nations unies, le Premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure a appelé les édiles à faire pavoiser le drapeau palestinien sur leur mairie ce même 22 septembre, qui sera aussi marqué par Roch Hachana, le Nouvel an juif, cette année.

L’initiative emballe la gauche mais agace le ministre démissionnaire de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Il a demandé ce vendredi 19 septembre aux préfets de s’opposer au pavoisement des drapeaux palestiniens. Le télégramme signé par le secrétaire général du ministère de l’Intérieur Hugues Moutouh établit qu’« un tel pavoisement constitue une prise de parti dans un conflit international » et « une ingérence contraire à la loi ». L’Intérieur insiste également sur « les risques d’importation sur le territoire national d’un conflit international en cours » ainsi que « sur les troubles graves à l’ordre public identifiés localement ».

Inentendable pour les élus de gauche qui dénoncent une décision politique de Bruno Retailleau. « Donc on a le droit de pavoiser en solidarité… Seulement si Poutine a attaqué, que Netanyahu est d’accord et qu’on ne massacre pas des enfants arabes », ironise le député insoumis Hadrien Clouet. Olivier Faure s’agace lui d’un « ministre démissionnaire » qui « devrait gérer les affaires courantes » et non « chercher à s’opposer symboliquement à la décision prise par le président de la République ».

Ce n’est pas la première fois que le pavoisement des drapeaux en mairie suscite la controverse. Dans les faits, les préfets ne peuvent pas l’empêcher en amont, en revanche comme les y enjoint Bruno Retailleau, ils peuvent saisir la justice une fois le drapeau installé si le maire refuse de le retirer. Si aucun texte de loi n’encadre clairement l’affichage de drapeaux étrangers, le ministre de l’Intérieur s’appuie lui sur la jurisprudence du Conseil d’État de 2005 ; celle-ci interdit que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques.

Les opinions politiques des édiles en question

De nombreuses décisions ont été rendues en ce sens ces derniers mois, et les cas de Mitry-Mory (Seine-et-Marne) et Gennevilliers (Hauts-de-Seine) s’avèrent éclairants. Saisie, la justice a demandé aux édiles de retirer le drapeau palestinien à chaque fois en évoquant le principe de neutralité, jugeant qu’il n’était pas respecté. À cet égard, elle s’est surtout basée sur les écrits justifiant ce pavoisement et pas simplement sur la symbolique du drapeau.

À Gennevilliers, la mairie avait défendu publiquement son installation comme « l’expression d’une solidarité envers “une nation victime d’une opération militaire” (…) dans un contexte de “soutien à la reconnaissance d’un État palestinien” ». À Mitry-Mory, un communiqué de la mairie estimait que le report de la conférence prévue à l’ONU initialement en juin, niait finalement « l’urgence à prendre des mesures strictes, franches et assumées afin de construire une paix durable au Proche-Orient ». Dans ces deux cas, la justice a estimé que le pavoisement ainsi justifié était l’expression d’une opinion politique.

Qu’en sera-t-il cette fois alors que le pavoisement du drapeau palestinien fera écho à une reconnaissance officielle par la France ? C’est précisément sur ce caractère évènementiel qu’entend s’appuyer Olivier Faure.

Le cas Ukrainien de 2024

Il rappelle à cet égard qu’en 2024, le tribunal administratif de Versailles a estimé que le pavoisement du drapeau ukrainien à la mairie de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) ne violait pas la neutralité car il s’agissait d’« exprimer symboliquement sa solidarité envers une nation victime », dans un contexte où la France affichait, elle aussi, officiellement, son soutien. Le tribunal de Versailles a simplement stipulé que la décision devait être entérinée par le conseil municipal.

De quoi faire dire encore à Olivier Faure, que « pour le drapeau palestinien le 22 septembre, l’idée est juridiquement justifiée puisqu’elle s’appuie sur le choix national de la reconnaissance de la Palestine par le président de la République et n’est accompagnée d’aucun autre message politique ».

Il n’est pas dit en revanche que l’initiative, si elle est finalement tolérée, puisse durer dans le temps. En juin dernier, la justice administrative a intimé à Christian Estrosi de retirer le drapeau israélien de la mairie de Nice, installé depuis plus d’un an. Le maire l’avait affiché, disait-il, en soutien aux otages, ce qui était là en accord avec les engagements officiels français. Toutefois, la justice a finalement considéré après avoir été saisie par des particuliers, qu’« eu égard à sa persistance dans le temps », « à l’ampleur prise par le conflit au Moyen-Orient », « et aux tensions mondiales existantes », le drapeau n’était plus simplement un symbole de soutien aux otages du Hamas, et devait désormais être regardé aussi « comme un soutien à l’État israélien », soit la revendication d’une opinion politique.