Politique

« La lutte contre le narcotrafic exige autre chose que des formules toutes prêtes » – TRIBUNE

TRIBUNE – Jeudi 31 octobre peu avant 23h, trois hommes stationnent leur véhicule dans le quartier des Couronneries à Poitiers. Quelques minutes plus tard, ils ouvriront le feu contre la terrasse d’un restaurant, pour une nébuleuse histoire de territoire de trafic de stupéfiants. Anis, un enfant de quinze ans, y laissera sa courte vie, une balle dans la tête.

Quelques jours auparavant, un député était interpellé en plein achat de drogue de synthèse à Paris et reconnaîtra immédiatement sa problématique addiction. En novembre 2023, un sénateur est mis en examen pour avoir administré de l’ecstasy à une députée dans le but d’abuser d’elle. À Marseille, on déplore une petite cinquantaine de morts en 2023, pour la plupart des jeunes, directement liés au trafic de stupéfiants. En février 2023, un humoriste connu provoque un terrible accident de la route sous l’emprise de nombreuses substances et sans avoir dormi depuis trois jours…

Un problème global et systémique

D’autres exemples ? Inutile… la drogue est partout, à tous les étages, dans tous les milieux. Elle est un fait de société, une gangrène qui s’est introduite, développée, étendue. Elle est parfois perçue comme festive, inoffensive… comme l’alcool ou le tabac. Elle est souvent destructrice. Elle est toujours, toujours, le cœur d’un gigantesque marché mondial, d’un affrontement des géants du crime.

« Il serait mortifère et naïf de considérer que seule la répression, évidemment indispensable, va nous protéger de ce fléau à moyen et long terme. »

La France est à la croisée des chemins : le narcotrafic peut nous transformer rapidement en narco-État, dépassé et vulnérable face à la puissance des réseaux. En cause : l’impréparation de l’État, la sous-estimation de la menace et le manque flagrant de moyens qui nous ont amenés à un terrible déséquilibre du rapport de force avec les délinquants souvent pourvoyeurs de mort. Il serait par ailleurs mortifère et naïf de considérer que seule la répression, évidemment indispensable, va nous protéger de ce fléau à moyen et long terme. Le problème est global et systémique, la réponse ne peut que l’être également.

Il ne s’agit pas de dire ici que rien n’est fait, et il faut saluer l’engagement sans faille des policiers, gendarmes, travailleurs sociaux et surtout des élus locaux qui sont au cœur des stratégies locales et savent mobiliser l’ensemble des acteurs, de la répression à la prévention, car la lutte contre le narcotrafic est un combat global, systémique, holistique. Mais on ne peut rendre responsable une ou un maire des terribles conséquences qu’engendre le trafic de stupéfiant sur l’espace public de nos villes et parfois de nos villages.

Le récent rapport de la Cour des comptes sur le plan « Marseille en grand » – superbe exercice de « roulage de mécaniques » du Président de la République – illustre à merveille l’échec du gouvernement. Il détaille les faiblesses de la police judiciaire, l’absence de stratégie unifiée, coordonnée et cohérente, le rapport de force justice/délinquants, l’état désastreux et inquiétant de nos prisons, indigne d’une grande démocratie comme la nôtre, l’échec flagrant du tout-répressif, l’absence criante de vraies stratégies de préventions.

Derrière les coups de menton de Gérald Darmanin et Emmanuel Macron, la réalité des moyens est souvent moins florissante que proclamée.

Pour un Parquet national anti-stupéfiants

Notre pays est aujourd’hui dans l’urgence de mesures qui tardent à se mettre en place. La première d’entre elles est probablement de réarmer la police judiciaire en termes de moyens et d’organisation administrative. La PJ n’a jamais cessé de prouver son efficacité. Le plus souvent dans l’ombre, les « brigades du Tigre » s’attaquent à ce qu’on appelle le haut du spectre de la délinquance, les voyous chevronnés qui naviguent entre Dubaï et l’Europe et répartissent leurs instructions en toute discrétion. Elle assume aussi le traitement des actes de terrorisme. Son maillage territorial lui permet d’être particulièrement performante et réactive pour faire face à toutes les formes de criminalité organisée. La réforme de Gérald Darmanin lui a imposé une frontière plus restreinte – le département – face à des délinquants qui n’en connaissent aucune. C’était une erreur terrible. Il faut éviter qu’elle nous soit fatale.

« Derrière les coups de menton de Gérald Darmanin et Emmanuel Macron, la réalité des moyens est souvent moins florissante que proclamée. »

De même, il faut imposer un chef de file, au sein de la police nationale, qui puisse concentrer et harmoniser le traitement de toutes les informations qui concernent le narcotrafic. L’Office anti-stupéfiants (Ofast) peut parfaitement tenir ce rôle essentiel. Parallèlement, il est aujourd’hui urgent et nécessaire de créer un Parquet national anti-stupéfiants (Pnast), sur le modèle du Parquet national anti-terroriste ou du Parquet national financier. Les enjeux sont du même ordre.

Ne pas verser dans la culpabilisation outrancière

En outre, on pourra continuer longtemps à déplorer la présence de mineurs dans les griffes des réseaux organisés si on ne soutient pas enfin, à la hauteur des immenses besoins, la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Enfin, la France doit aborder aujourd’hui la question de la consommation de manière constructive et adulte. Il nous faut sortir de débats qui touchent parfois à la schizophrénie : il n’est évidemment pas question d’encourager la consommation de quelque stupéfiant que ce soit, dans une époque où la recherche de consommation responsable est encouragée pour l’alimentaire, le textile, le numérique. Mais à l’inverse il est inutile de se voiler la face et de verser dans la culpabilisation outrancière comme le fait le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau, alors que les usages sont très divers. Nier la possibilité d’usages récréatifs dans une Europe où la légalisation et la dépénalisation de certaines drogues se propagent serait vain.

On le voit, la lutte contre le narcotrafic exige autre chose que des formules toutes prêtes et des positionnements plus stratégiques que raisonnables. Elle demande une hauteur de vue, une prise en compte rapide de toutes les dimensions du débat : policière, sociale, sociétale, sanitaire et de prévention.

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