Politique

La mise à pied du directeur de « La Provence » indigne et relance le débat sur l’indépendance des médias

POLITIQUE – « Des promesses d’indépendance piétinées. » En plus de susciter la fronde d’une partie des titres détenus par Rodolphe Saadé (via le groupe WhyNot Media, une branche de CMA CGM), la mise à pied du directeur de la rédaction de La Provence, Aurélien Viers, provoque l’indignation d’une partie de la classe politique.

La crise est partie de l’annonce de la mise à pied du directeur de la rédaction pour la Une de jeudi concernant le jour d’après la visite d’Emmanuel Macron à Marseille. En couverture, le journal titrait : « Il (Emmanuel Macron, ndlr) est parti et nous, on est toujours là… », en reprenant les mots d’un habitant cité en page intérieure.

Patatras. Le lendemain, vendredi, le directeur de la publication, Gabriel d’Harcourt, présente les « plus profondes excuses » du journal pour cette présentation qui pouvait « laisser croire que nous donnions complaisamment la parole à des trafiquants de drogue décidés à narguer l’autorité publique ». Le directeur de la rédaction est suspendu.

« On peut acheter un titre, mais pas sa liberté »

Depuis, les journalistes de La Provence et de La Tribune (un autre titre du groupe) dénoncent collectivement une ingérence inadmissible de la part de Rodolphe Saadé, le propriétaire de CMA CGM, présenté comme proche d’Emmanuel Macron – et qui vient d’annoncer le rachat d’Altice Media, maison mère de BFMTV et RMC.

Autant d’enjeux qui trouvent un écho tout particulier dans la sphère politique, à l’heure où certains élus se penchent sur le fonctionnement des médias et la possibilité de mieux garantir leur indépendance.

À gauche notamment, de nombreuses voix s’élèvent pour soutenir haut et fort les rédactions du groupe WhyNot Media dans leur fronde. « Soutien total à la rédaction de La Provence », écrit ainsi la tête de liste écologiste Marie Toussaint ce samedi matin sur les réseaux sociaux, en ajoutant, à l’adresse de Rodolphe Saadé : « On peut acheter un titre, mais pas sa liberté ».

Avant elle, le numéro 1 des Insoumis Manuel Bompard a dénoncé des « pressions inacceptables », quand son homologue socialiste Olivier Faure s’étonnait presque que cette scène, « pas tolérable », se déroule « en France en 2024 » : « La démocratie ne se défend pas qu’en dehors de nos frontières ! »

Débat à l’Assemblée début avril

Surtout, pour certains élus, le sort d’Aurélien Viers souligne la nécessité de légiférer pour protéger davantage l’indépendance des rédactions. « Il est temps de faire voter une loi pour l’indépendance et contre la concentration des médias », estime ainsi Manuel Bompard, en reprenant une proposition insoumise de longue date. Mais c’est sans doute les écologistes qui imposeront le débat à l’Assemblée nationale ces prochaines semaines.

La députée Sophie Taillé-Polian va en effet profiter de la niche parlementaire allouée à son groupe début avril pour défendre un texte visant à mieux garantir cette indépendance. Et elle prévient déjà : « Rodolphe Saadé doit comprendre qu’il s’agit là d’un principe constitutionnel, pas d’une option. »

Dans ce contexte, les réactions à droite ou dans la majorité sont bien plus rares. Un des seuls à s’exprimer, l’ancien député LR Julien Aubert, estime à travers l’exemple de La Provence que « toute la presse » doit être libre, au-delà du cas de CNews. Une façon de rapprocher cette crise liée au groupe CMA CGM aux déboires de la chaîne d’informations détenue par Vincent Bolloré, souvent accusé d’encourager les idées d’extrême droite, et sur le gril d’une commission d’enquête au Palais Bourbon.

En attendant les prochains débats à l’Assemblée, sur la loi écologiste, et les suites de la commission d’enquête sur les règles de la TNT (et donc des chaînes d’infos), la fronde risque de se poursuivre au sein des rédactions de Rodolphe Saadé. Les journalistes de La Provence ont décidé une grève illimitée, et ceux de La Tribune doivent cesser le travail mardi prochain.

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