La stratégie des « poids lourds » de Bayrou peut-elle se retourner contre lui ?
POLITIQUE – En bon Palois fan de rugby, François Bayrou le sait : plus les poids lourds sont nombreux dans une mêlée, plus l’équipe à des chances d’avancer. Une logique qui a sans doute guidé son choix de nommer, avec Emmanuel Macron, plusieurs figures de premier plan dans son gouvernement.
C’est la principale nouveauté de l’ère ouverte par le centriste à Matignon. Son équipe accueille en son sein plusieurs personnalités majeures de la sphère politique, dont deux anciens Premiers ministres (un fait inédit), quand celle de Michel Barnier manquait cruellement de figures identifiées par le grand public.
Signe de ce retour des « poids lourds » : les quatre personnalités qui suivent François Bayrou dans l’ordre protocolaire, Élisabeth Borne, Manuel Valls, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin sont ministre d’État. Un titre avant tout honorifique, qui avait disparu depuis la fin des gouvernements successifs d’Edouard Philippe entre 2017 et 2020. Il n’empêche. Voulue par le nouvel homme fort de l’exécutif, cette architecture n’est pas sans risque comme le montrent déjà certaines controverses deux semaines après l’installation du gouvernement.
« Laisser de l’autonomie » et essuyer les coups
Autour de François Bayrou, on loue pour l’instant une équipe dense, capable, avec ses fortes personnalités, « d’incarner » des enjeux majeurs selon le vocable consacré et de répondre aux priorités des Français. « Il veut être le chef d’orchestre, en surplomb, et laisser de l’autonomie à ses solistes », nous explique un proche du chef du gouvernement, plus mélomane que rugbyman, en confirmant l’abandon du circuit de relecture des interviews des ministres par Matignon. Une nouveauté là aussi, après l’habitude prise par ses prédécesseurs.
Outre le quatuor de ministres d’État, le dirigeant centriste peut également compter sur des profils expérimentés dont la parole promet déjà de porter. C’est le cas par exemple du nouveau ministre de l’Économie et des Finances, Eric Lombard, un proche du Parti socialiste, qui a remplacé Antoine Armand, le plus jeune locataire de Bercy. Autant de personnalités susceptibles d’aider leur chef à plusieurs égards.
Ils ont tout d’abord une épaisseur politique et médiatique qui leur permet d’encaisser des coups à la place de François Bayrou. Depuis que son équipe est en place, le chef du gouvernement a réussi à se sortir du marais de petites polémiques, sur Mayotte notamment, qu’il avait patiemment provoqué en quelques jours à Matignon. À sa place, Élisabeth Borne a essuyé des flèches après une réaction maladroite face à des soignants sur l’archipel et Manuel Valls a concentré le flot de critiques après son retour aux affaires spectaculaire.
Autre bienfait indéniable, ces différents ténors permettent au gouvernement de couvrir plusieurs fronts et de s’adresser à toutes ou plusieurs composantes de la sphère politique. En même temps. Ainsi, quand le duo Darmanin – Retailleau, le couple Justice – Intérieur le plus à droite de ces dernières décennies, parle aux élus et aux Français qui mettent la lutte contre l’insécurité et l’immigration en tête de leur priorité, d’autres, à l’image d’Eric Lombard, sont là pour parler à la gauche. Habile.
Darmanin et Borne font déjà pression
Le principal intéressé est d’ailleurs le premier conscient de sa fiche de poste. Négocier avec les socialistes ? « C’est la raison de ma présence dans l’équipe gouvernementale », reconnaît dans les colonnes du Nouvel Obs celui qui est ami avec Olivier Faure dans le « privé », à l’heure où les discussions s’enchaînent à Bercy avec la gauche hors-LFI. Soit la façon la plus directe de « trouver le chemin » de la non-censure, comme le promet François Bayrou depuis son arrivée à Matignon.
Problème : tous ces avantages ont aussi leur revers pour le demi de mêlée, ou le chef de l’orchestre. Pour cause, plusieurs de ses ministres, au cuir plus épais que leurs prédécesseurs, caressent des ambitions nationales, pourquoi pas élyséennes. Ils ont donc à cœur de ménager leur couloir politique, gage d’un avenir électoral, sans renier les convictions qui les ont fait émerger dans le grand public. En clair, si leurs voix portent plus haut, leurs frondes risquent d’être plus douloureuses.
Les récentes sorties de Gérald Darmanin ou Élisabeth Borne le montrent. Tous deux, à la Justice et à l’Intérieur, ont d’ores et déjà indiqué qu’ils n’accepteraient pas les coups de rabot budgétaires que leurs prédécesseurs ont consenti avec Michel Barnier. Ainsi, la ministre de l’Éducation nationale veut revenir sur la suppression des postes d’enseignant, quand son collègue, Gérald Darmanin, ne manque pas une occasion de réclamer des moyens supplémentaires pour les prisons et magistrats.
Dans le contexte actuel, le cas du garde des Sceaux est d’ailleurs très révélateur de ces nouveaux équilibres. L’ancien « premier flic de France », qui a fait payer cher à Michel Barnier son éviction en septembre dernier, est de retour aux affaires avec un poids considérable. Le voilà désormais qui redessine les contours de la Place Vendôme, en reprenant les sujets phares qu’il développait… Place Beauvau.
Le risque ? Mettre en lumière les contradictions
Rien de surprenant, donc, à le voir répliquer vertement à Élisabeth Borne sur le droit du sol à Mayotte. Une escarmouche qui en appelle d’autres dans cette équipe. Quelques heures plus tard, c’est effectivement Bruno Retailleau qui allumait un autre feu avec des ténors macronistes, en évoquant l’interdiction du voile pour les accompagnatrices des sorties scolaires. Un incendie rapidement éteint depuis par la porte-parole du gouvernement, mais qui reflète bien l’autre écueil de la stratégie des « poids lourds ».
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François Bayrou sera, à un moment ou à un autre, amené à trancher certains débats de fond. C’est là que les choses risquent de se compliquer sérieusement. Ainsi, que faire de la réforme des retraites, honnie par la gauche sous l’œil plutôt bienveillant d’Eric Lombard ? Quid de l’aide médicale d’État (AME), critiquée par Bruno Retailleau mais soutenue par le « bloc central » ? Ou de l’éducation sexuelle et affective à l’école, qu’Élisabeth Borne souhaite mettre en haut de ses priorités, malgré les cris d’orfraie de la droite ?
Ces débats seront autant de risques pour l’exécutif et ses cadors de mettre la lumière sur les dissensions qui parcourent l’alliage fragile censé le soutenir. Un écueil identifié. « François est le meilleur d’entre nous pour trouver des réponses consensuelles et dénouer les blocages », veut croire, optimiste, un proche du Béarnais. Et de toute façon, « ce n’est pas son habitude de s’entourer de mauvais pour être le seul à briller. » En somme, le centriste sait que son rôle sera majeur pour éviter que ses poids lourds poussent dans des directions opposées. Sans quoi, la mêlée peut rapidement s’écrouler.
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