Le « Grand remplacement », le poison lent d’un concept d’extrême droite qui a dépassé nos frontières
EXTRÊME DROITE – Il y a des milliers de kilomètres entre Mormant-sur-Vernisson, à une heure de Paris, et la base militaire américaine de Fort Bragg en Caroline du Nord. Et pourtant, cette semaine, un même vent violent a soufflé sur ces deux lieux qu’au moins l’Atlantique sépare.
Allons à Mormant-sur-Vernisson d’abord. Lundi 9 juin, cette petite commune du Loiret près de Montargis a été le théâtre d’une grande messe des extrêmes droites européennes organisée par le Rassemblement national de Marine Le Pen. Sur la liste des invités, Viktor Orban, Premier ministre hongrois et Matteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres italien.
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Le Grand Remplacement, histoire d’une idée mortifère, 52 min, de Thomas Zribi et Nicolas Lebourg, à regarder sur Society+ (gratuitement jusqu’au 23 juin)
Le premier a profité de son discours pour qualifier la politique migratoire européenne d’« échange organisé de populations pour remplacer le socle culturel » et a prévenu que « nous ne les laisserons pas détruire nos villes, violer nos filles et nos femmes, tuer des citoyens pacifiques ». Dans un même élan, Salvini a agité « la menace pour nos enfants » d’une « invasion de clandestins, principalement islamistes, financés et organisés dans le silence de Bruxelles ».
Direction les États-Unis maintenant. Dans la nuit de mardi à mercredi, alors que des émeutes secouent Los Angeles depuis plusieurs jours, Donald Trump a lancé avec véhémence devant une foule de militaires et de civils que « cette anarchie ne se poursuivra pas. Nous ne permettrons pas que des agents fédéraux soient attaqués et ne laisserons pas une ville américaine être envahie et conquise par des ennemis étrangers ».
Et de poursuivre : « Ce que vous voyez en Californie, c’est un assaut généralisé contre la paix, l’ordre public et la souveraineté nationale, mené par des émeutiers portant des drapeaux étrangers et ayant pour objectif de poursuivre une invasion étrangère de notre pays ».
Ces discours de Viktor Orban, Matteo Salvini et de Donald Trump qui se font écho sont cousus d’un même fil : le fantasme complotiste d’une invasion migratoire qui serait organisée dans le but de détruire et supplanter les sociétés occidentales.
Des mots qui tuent
Comment cette théorie dite du « grand remplacement », conceptualisée par l’écrivain français d’extrême droite Renaud Camus dans les années 2010, a-t-elle fini par atterrir dans la bouche des dirigeants du monde ?
Il faut regarder le documentaire Le « grand remplacement », histoire d’une idée mortifère, disponible sur Society+, la plateforme de documentaires lancée par le magazine Society, pour mieux comprendre. Dans ce film de 52 minutes du journaliste Thomas Zribi et de l’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg, une succession d’interviews et d’images d’archives retracent le parcours de cette expression et de toutes les idées nauséabondes qu’elle convoque.
C’est bien avant Renaud Camus et sa formule choc que les ressorts de cette réthorique se déploient. On retrouve l’obsession de cette notion d’invasion dès la fin du XIXe siècle, du temps des colonies occidentales. Une obsession qui se diffuse et s’amplifie au rythme des grands événements historiques, comme les deux guerres, qui marquent le siècle suivant.
L’élection de la présidentielle de 2022 et notamment la candidature d’Eric Zemmour marquent néanmoins un tournant dans la résonance de ces termes. Entre course à l’échalote populiste de la classe politique et utilisation ciblée des réseaux sociaux par l’extrême droite, l’expression « grand remplacement » ne tarde pas à s’exporter en dehors de la France
Bien plus qu’un catalogue historique, ce documentaire démonte factuellement les ressorts de cette théorie, souligne les responsabilités de ceux qui ont contribué à blanchir l’utilisation du terme « grand remplacement » et surtout pointe le fait que des mots peuvent porter en eux les germes d’une violence effroyable. Les victimes des tueries de masse perpétrées par Anders Breivik à Utoya en Norvège ou Brenton Terrant à Christchurch en Nouvelle-Zélande en sont un terrible rappel évoqué par ce film.