Le profil étonnant de la ministre de l’Éducation, sans expérience dans son domaine
POLITIQUE – Gabriel Attal en juillet 2023, Amélie Oudéa-Castéra en janvier, Nicole Belloubet en février. Et pour septembre ce sera ? Anne Genetet, députée Ensemble pour la République des Français de l’Étranger, nommée ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement de Michel Barnier.
Fidèle à sa réputation, le ministère de la rue de Grenelle ne manque pas de dossiers brûlants. La réforme du brevet a été repoussée à une date ultérieure. Qu’en est-il de la généralisation du port de l’uniforme et de la réforme de la formation initiale des enseignants voulue par Emmanuel Macron ? Au-delà de ces sujets en suspens, la nouvelle ministre va devoir tenter de résoudre le très éruptif dossier du manque de professeurs, alors que plus de 3 000 postes ont encore été non pourvus aux concours enseignants cette année. Le tout alors que l’état des finances publiques pourrait pousser l’exécutif à sabrer dans les dépenses, et donc, dans le budget de l’Éducation nationale.
Anne Genetet, pas forcément identifiée sur le sujet, aura-t-elle les épaules ? « C’est une députée extrêmement travailleuse, compétente. Il ne faut pas lui faire de procès d’intention a priori », la défend sur franceinfo le 23 septembre sa collègue Violette Spillebout, pressentie pour le poste mais recalée à cause de « pressions » selon elle. « On sera là. On est de nombreux députés expérimentés à la Commission éducation et affaires culturelles », ajoute-t-elle. Si elle tient à le préciser, c’est bien parce que la nomination d’Anne Genetet en a surpris plus d’un au vu de son parcours et de ses centres d’intérêt.
Conseils aux expat’ de Singapour (mais pas sur l’éducation)
Anne Genetet est élue députée en 2017 sous les couleurs de La République en Marche, devenue Renaissance et désormais « Ensemble pour la République » dans l’hémicycle. Avant le Palais Bourbon, cette médecin de formation a vécu à Singapour et a exercé dans « plusieurs domaines liés à la santé », indique son site internet. Il ne fait en revanche pas mention de ses activités de fondatrice et dirigeante au sein de « The Help Agency », une agence de conseil et de formation à destination des expatriés cherchant une employée de maison à Singapour.
Sitôt sa nomination annoncée, des internautes ont relayé les activités proposées par l’agence – désormais uniquement accessible en archive. Entre deux cours de cuisine et formation aux premiers secours, Anne Genetet recommandait par exemple de ne pas forcément choisir une employée avec une expérience dans une famille expatriée car « l’employée a pris de l’assurance, croit déjà tout connaître et peut être difficile à gérer, refusant parfois de se soumettre à vos exigences ». Autre conseil prodigué par ses soins : « Les employées qui n’ont connu que des familles locales, chinoises par exemple, sont souvent plus flexibles, plus attentives aux consignes et ont pour la plupart développé un grand sens du service ’à l’asiatique’ ».
Auprès du Parisien, son entourage a défendu une entreprise qui visait à « permettre à ces personnes de s’émanciper grâce à leur travail et de leur permettre d’acquérir des compétences supplémentaires grâce à des formations financées directement par les employeurs ».
Un CV garni sur la diplomatie et la défense (mais toujours pas sur l’éducation)
Mais les questionnements ne s’arrêtent pas là. À l’Assemblée nationale, la députée d’alors s’est particulièrement impliquée dans les dossiers liés aux affaires étrangères et à la Défense – le site Nos Députés comptabilise par exemple une vingtaine d’interventions sur la loi de programmation militaire lors de la précédente législature.
Secrétaire de la Commission de la défense nationale et des forces armées, vice-présidente de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères, membre de plusieurs groupes d’étude sur l’attractivité économique, la francophonie ou encore « la république et les religions », Anne Genetet a aussi été vice-présidente de la commission d’enquête sur les UberFiles.
Un curriculum vitæ bien rempli, pas inintéressant pour postuler au Quai d’Orsay, mais pas forcément rue de Grenelle. La nouvelle ministre « ne connaît pas grand-chose, ni de près, ni de loin, au sujet de l’école et du système éducatif » a pointé sur franceinfo Élisabeth Allain-Moreno secrétaire générale de SE-Unsa, après sa nomination. « On nous met quelqu’un qui ne connaît strictement rien à l’Éducation nationale, qui est manifestement là parce qu’il y a eu une forme de tambouille politicienne pour essayer de tenir les équilibres au sein du bloc central », abonde Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU au même micro.
Lors des législatives de juin 2024, Anne Genetet a fait campagne sur cinq priorités « pour la France et les Français », et six pour les Français de l’Étranger : « éduquer et soutenir notre jeunesse » pour les premiers, « développer le réseau d’enseignement en français à l’étranger » pour les seconds. Deux vœux qu’elle pourrait désormais concrétiser… À condition qu’on lui en laisse les moyens.
Cornaquée par Attal ?
Pour Guislaine David, secrétaire générale de la FSU-Snuipp interrogée par l’AFP, premier syndicat du primaire, « le seul objectif de la nouvelle ministre doit être le budget ». Mais, s’interroge le SNALC, syndicat des collèges et lycées, « à l’heure où l’on nous fait miroiter un serrage de ceinture sans précédent sur le budget, notre nouvelle ministre a-t-elle la capacité à remporter des arbitrages ? »
Auprès de l’AFP, Anne Genetet assure n’avoir « rien demandé » ni « fait passer de CV ». Elle met en avant un engagement pour « la transmission des savoirs » dans sa carrière et souligne son parcours au sein de l’école publique « de bout en bout, de l’école à la fac » – pas anodin, après le précédent Oudéa-Castéra.
Des critères suffisants pour obtenir un des postes les plus convoités du gouvernement ? Un poids lourd du camp présidentiel y voit la patte de Gabriel Attal qui « croit qu’il peut conserver la main sur l’Éducation nationale ». Selon l’AFP, plusieurs membres de l’équipe de l’ex-Premier ministre sont pressentis pour intégrer le cabinet d’Anne Genetet : Carole Drucker-Godard, rectrice de Limoges et ex-membre de la mission « Exigence des savoirs » (et qui a jeté les bases des mesures du « choc des savoirs »), devrait être nommée directrice de cabinet et Rémi Leleu, ex-chef de cabinet adjoint du Premier ministre, chef de cabinet.
Ce qui inquiète les syndicats, vent debout contre les méthodes de l’ex-chef de gouvernement. « On voit bien qu’Anne Genetet est une personne qui n’est pas connue pour des prises de position très identifiées sur l’éducation, et donc ça donne l’impression qu’il va y avoir une forte influence peut-être de Gabriel Attal, en tout cas de l’Élysée, de Matignon », a réagi auprès de l’AFP Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale de la CFDT Éducation. Lors de sa passation de pouvoir, Anne Genetet a elle-même martelé sa volonté de « garder le cap ». Comme un air de redoublement.
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