Le rapport sur le scandale des eaux en bouteille étrille l’État autant que Nestlé
POLITIQUE – Une « dissimulation par l’État » relevant « d’une stratégie délibérée ». Le rapport d’enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l’eau en bouteille, et notamment celles de Nestlé Waters, est cinglant. Les sénateurs ont rendu public ce lundi 19 mai, les conclusions de leurs six mois d’investigation au cours desquels ils ont auditionné des dizaines de personnes, dont trois ministres ou ex-ministres.
Concrètement, dans ce dossier, Nestlé est accusé d’avoir utilisé pendant des années des systèmes de filtrage pour ses eaux minérales. Ce qui est interdit, une eau minérale naturelle ne pouvant faire l’objet d’aucune désinfection. L’État est accusé d’avoir été informé mais d’avoir géré le dossier en toute discrétion. Le premier groupe agroalimentaire au monde, autant que l’exécutif figurent en bonne place des saillies sénatoriales.
« Outre le manque de transparence de Nestlé Waters, il faut souligner celui de l’État, à la fois vis-à-vis des autorités locales et européennes et vis-à-vis des Français (…) Cette dissimulation relève d’une stratégie délibérée, abordée dès la première réunion interministérielle sur les eaux minérales naturelles le 14 octobre 2021. Près de quatre ans après, la transparence n’est toujours pas faite », souligne le rapport.
« Au plus haut niveau de l’État que s’est jouée la décision d’autoriser une microfiltration »
Nestlé Waters, dont la direction assure avoir découvert fin 2020 sur ses sites Perrier, Hépar et Contrex l’usage de traitements interdits pour de l’eau minérale, avait sollicité à ce sujet mi-2021 le gouvernement, puis jusqu’à l’Élysée. Selon le minéralier, il s’agissait d’« assurer la sécurité sanitaire » des eaux lors d’épisodes de contaminations bactériologiques de forages.
Dix-huit mois plus tard, un plan de transformation de ses sites était approuvé par les pouvoirs publics, remplaçant les traitements interdits (UV, charbon actif) par une microfiltration fine.
« Malgré la fraude aux consommateurs que représente la désinfection de l’eau, les autorités ne donnent pas de suites judiciaires à ces révélations » de 2021, souligne le rapport. Les sénateurs déplorent ensuite une « inversion de la relation entre l’État et les industriels en matière d’édiction de la norme ». Concrètement dans « une attitude transactionnelle », Nestlé Waters n’a accepté de remplacer ses filtres interdits que si la microfiltration à 0,2 micron – un seuil qui ne fait pas l’unanimité – était autorisée.
Un rapport défavorable à Nestlé maquillé avec l’aide de l’État
« En définitive, c’est au plus haut niveau de l’État que s’est jouée la décision d’autoriser une microfiltration sous le seuil de 0,8 micron », au terme d’une « concertation interministérielle », « dans la continuité des arbitrages pris par le cabinet de la Première ministre, Élisabeth Borne, mais sans que celle-ci ne semble informée », note le rapport.
« De son côté, la présidence de la République, loin d’être une forteresse inexpugnable à l’égard du lobbying de Nestlé, a suivi de près le dossier », ajoute la commission, qui se base sur « des documents recueillis par ses soins » : elle « savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années ».
À cet égard, la Cellule investigation de Radio France, s’appuyant sur des éléments du dossier, révèle que l’État a notamment aidé à modifier un rapport sur la qualité sanitaire des forages exploités à Vergèze, où est produite la marque Perrier, pour « satisfaire les demandes de l’industriel Nestlé, mais aussi de protéger le gouvernement, qui craignait que son implication dans la tromperie ne soit dévoilée au grand public ».
Perrier en grandes difficultés
Parmi les conséquences de cette gestion du dossier, le rapport note que l’industriel a pu continuer à commercialiser son eau sous l’appellation – lucrative – d’eau minérale naturelle. Dans le même temps, à ce jour, il n’y a pas « de vérifications exhaustives de l’absence de traitements interdits sur tous les sites de production d’eau conditionnée », note-t-il.
Parmi 28 recommandations, il préconise ainsi un suivi qualitatif des nappes, « un contrôle effectif du niveau de prélèvement réalisé par les minéraliers », un meilleur étiquetage pour les consommateurs.
Aujourd’hui, Perrier attend la décision de renouvellement de son autorisation d’exploiter la source comme « eau minérale naturelle ». Alors que des hydrogéologues mandatés par l’État ont rendu un avis défavorable, la préfecture du Gard doit se prononcer d’ici au 7 août et, en attendant, a donné deux mois au groupe pour retirer son système de microfiltration, estimant qu’il « modifie le microbisme de l’eau produite, en contradiction avec la réglementation ». Nestlé dit disposer de solutions alternatives, qu’il souhaite proposer aux autorités.
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