Les hésitations des députés sur le vote du budget en disent long sur la tournure des débats
POLITIQUE – Va-t-on venir à bout de ce budget ? Depuis plusieurs semaines, la France est suspendue aux arbitrages de l’Assemblée nationale et du Sénat qui, à coup d’amendements, définissent les grandes orientations pour 2026. La Constitution laisse jusqu’au 23 novembre à minuit aux députés pour débattre. Passé cette date, le texte filera au Sénat.
Nul ne sait s’il y aura un vote en temps et en heure, mais nul ne sait non plus qui est en mesure de voter ce fichu budget. Car à droite comme à gauche, les doutes prédominent. Le 17 novembre dans la soirée, les députés de droite et du centre ont fait savoir qu’ils s’accordaient pour ne pas voter le volet recettes. Motif invoqué : « l’insincérité de certaines mesures adoptées ».
Le président du groupe LR à l’Assemblée Laurent Wauquiez a redit face à la presse qu’il n’avaliserait « aucune augmentation d’impôts, aucune augmentation de taxes » et qu’il défendrait jusqu’au bout « des économies sur la dépense ». Or le budget regorge de nouveaux impôts. Notamment sur les plus riches. Taxe sur les dividendes, surtaxe sur les bénéfices des multinationales, doublement de la taxe sur les géants du numérique… « On ne peut pas voter ce budget vu toutes les horreurs fiscales », a martelé Wauquiez en réunion de groupe, mardi.
Ironie du sort, même le Premier ministre ne semble pas vouloir de la copie telle qu’elle est discutée actuellement à l’Assemblée. Face aux entrepreneurs réunis au sommet Choose France lundi, Sébastien Lecornu s’est fait l’écho des craintes exprimées par les chefs d’entreprise et a promis que certaines taxes votées « n’auront jamais d’application ». À commencer par celle sur les multinationales, portée par La France insoumise. Les trois groupes soutiens du gouvernement (Renaissance, Horizons et MoDem) oscilleront donc entre rejet et abstention… S’il y a un vote.
« Pas assez de justice fiscale » pour le PS
« Tout le monde y a mis un peu de tout. On a 40 milliards d’impôts, des niches fiscales qu’on a augmentées. C’est pas la somme du compromis, c’est la somme de toutes nos envies », a ainsi déploré le patron des députés MoDem Marc Fesneau ce mardi sur LCP. S’il ne voit « pas de majorité se dégager », ce proche de François Bayrou se dit « un peu gêné » de voir que le Premier ministre s’est privé du 49-3.
« On s’est privé d’un outil certes très galvaudé, très détesté par les Français ; mais qu’on m’explique comment on vote un budget quand personne veut le voter et quand tout le monde le veut », résume-t-il. C’est bien là tout le paradoxe : aucun groupe politique ne veut prendre la responsabilité de voter en faveur du budget, puisque cela vaudrait un soutien à tout ce qu’il contient, mais beaucoup souhaitent, au fond, que les textes soient adoptés.
Les socialistes sont dans ce tiraillement. Après avoir accordé une non-censure à Sébastien Lecornu, espérant faire pencher le budget suffisamment à gauche, ils n’entendent pas voter un projet qu’ils jugent encore insatisfaisant. Et ce, malgré la réindexation du barème de l’impôt sur le revenu, le doublement de la « taxe Gafam » ou la hausse de l’impôt sur les sociétés. « Il n’y a pas assez de justice fiscale », notamment « sur le patrimoine », regrette par exemple le député PS Philippe Brun auprès de l’AFP.
Dans ce contexte, Marc Fesneau appelle les socialistes à prendre leurs « responsabilités ». « Je comprends qu’ils veuillent marquer le fait qu’ils sont dans l’opposition, en ne votant pas le texte », concède-t-il toutefois. De fait, c’est la crainte maintes fois exprimée par Olivier Faure. Le Premier secrétaire du PS répète qu’il veut « permettre l’adoption du budget » sans pour autant entrer dans une coalition avec les macronistes.
Pas de budget voté en décembre ?
« Je cherche à faire en sorte que nous soyons utile aux Français », a-t-il expliqué début novembre sur BFMTV, craignant l’adoption d’une loi spéciale qui reconduirait le budget de 2025, « amputé de taxes sur les hauts patrimoines et les grandes entreprises ». Les socialistes envisagent donc, pour le moment, une abstention. Problème : elle ne suffirait pas à elle seule à faire passer le texte.
Les Écologistes, pas plus que les communistes et les insoumis, n’envisagent de voter le texte. « C’est un devoir moral de ne pas voter ce budget », avait affirmé Marine Tondelier le 6 novembre. « On a des alertes qui nous remontent de partout, complète la présidente du groupe écolo Cyrielle Chatelain dans Libération. Sur la question environnementale, les budgets sont sabrés ». Mais elle n’exclut pas une abstention de son groupe : « Bien sûr on est dans l’opposition, donc la pente naturelle, c’est celle d’un vote contre, mais on est dans un moment inédit, donc on verra en approche »
Dès lors, tous les doutes sont permis pour les semaines à venir. « Le plus probable c’est qu’on n’ait pas de budget de l’État voté en décembre, une loi spéciale pour reconduire celui de 2025, et un nouveau budget soumis en janvier ou en février », décrypte un cadre macroniste à l’AFP. Beaucoup estiment possible qu’un compromis soit trouvé in fine sur le budget de la Sécurité sociale, qui contient la suspension de la réforme des retraites, mais sont plus sceptiques sur l’adoption de celui de l’État.
Au gouvernement, on espère une sortie de crise « avant » fin décembre. « Parce que s’il n’y a pas de budget, ce sera un mauvais compromis en gestion de crise plus tard », a dit Sébastien Lecornu, ce lundi. Emmanuel Macron a aussi pris position ces dernières heures. « Est-ce que je suis satisfait tous les jours de ce qui est voté au Parlement ? Non, mais est ce que je pense que la stabilité politique est nécessaire et la recherche de compromis indispensable ? Oui ». Les débats se poursuivent, avec un dénouement attendu dans les prochains jours.



