Politique

Les ministres démissionnaires outrepassent-ils la gestion des affaires courantes ?

POLITIQUE – L’image a de quoi surprendre. Le 13 septembre, pour son premier déplacement officiel en tant que Premier ministre, Sébastien Lecornu s’est rendu à Mâcon (Saône-et-Loire). Il y a annoncé le lancement d’un réseau France santé pour répondre aux problématiques de déserts médicaux. Jusque-là rien d’anormal. Sauf que pendant tout son déplacement, il était accompagné de Yannick Neuder et de Catherine Vautrin. Tous les deux étaient ministres dans le gouvernement de François Bayrou, renversé par l’Assemblée nationale quelques jours plus tôt.

« Démissionnaires », ils ne sont pas sous l’autorité de Sébastien Lecornu, mais doivent gérer les affaires courantes dans l’attente de la nomination d’un nouveau gouvernement. Cette période de latence, qui soulève nombre de questions, a été cadrée par une note du secrétariat général du gouvernement (SGG). Il y est écrit noir sur blanc que les ministres démissionnaires doivent à la fois s’occuper des « affaires ordinaires », qui ne nécessitent pas d’arbitrage politique, et des « affaires urgentes ». En la matière, certains ministères sont plus exposés que d’autres.

Ainsi, Place Beauvau, Bruno Retailleau semble pleinement à sa tâche. Le ministre de l’Intérieur démissionnaire est en première ligne des deux grosses journées de mobilisation sociale du 10 et du 18 septembre. Il s’est déployé de points presse en interviews sur les plateaux télé, à chaque fois pour condamner les violences et redire son soutien aux forces de l’ordre. La frontière entre les dossiers urgents et ce qui relève de la communication politique est souvent mince.

Surtout chez Bruno Retailleau, qui continue de brocarder ses adversaires politiques comme s’il était encore en poste. Olivier Faure propose que les mairies hissent un drapeau palestinien le jour de la reconnaissance par la France de l’État palestinien ? Le patron de LR lui répond en lui reprochant « d’importer des sujets de division » en France. Marine Le Pen brocarde la politique migratoire de la France ? Il vante la baisse drastique des demandes d’asile et des procédures de naturalisation par décret. Sept policiers se sont frapper à Reims ? Il reproche à La France insoumise de « propager la haine anti-flics » et de « mettre une cible dans le dos de chaque policier ».

« Un vrai problème institutionnel »

« La communication gouvernementale doit être restreinte aux sujets qui ne peuvent pas attendre et rester dans un registre purement objectif et informatif », estime la SSG. De toute évidence, Bruno Retailleau sort du « registre purement objectif ». Même gêne au moment où la ministre démissionnaire du Budget Amélie de Montchalin apparaît le 11 septembre sur le plateau de l’Événement sur France 2 pour défendre la politique économique et sociale du gouvernement. Même accommodement avec les règles quand Éric Lombard, le ministre démissionnaire de l’Économie, est invité du JT de 20 heures de France 2 deux jours plus tard.

Cette agitation tous azimuts fait grincer des dents dans l’opposition. « Je suis sans doute vieux jeu mais j’ai le sentiment que les ministres démissionnaires ont inventé un concept d’expédition des affaires courantes très audacieux, d’inaugurations en déplacements et en annonces multiples. C’est un vrai problème institutionnel », pointe sur le réseau social X le député Place publique Aurélien Rousseau.

Une proposition de loi communiste pour l’encadrer

La note de la SSG précise bien que « lors d’un déplacement autorisé, le ministre devra faire preuve de la plus grande réserve vis-à-vis de la presse et s’abstenir de toute annonce ». La ministre de l’Agriculture démissionnaire Annie Genevard a dû annuler sa venue à la fête agricole de Terres de Jim à Vieux-Manoir (Seine-Maritime), plus gros événement agricole en plein air d’Europe. Elle avait aussi prévu de tirer un trait sur son déplacement au Salon international de l’élevage de Rennes (Ille-et-Vilaine), mais a finalement fait le choix de s’y rendre. En s’abstenant toutefois de répondre à la presse, et évidemment sans faire d’annonce.

Le débat sur le périmètre des affaires courantes n’est pas nouveau. L’an dernier, après la démission de Gabriel Attal forcée par la dissolution de l’Assemblée, le même débat agitait le pays, privé de gouvernement pendant deux mois. Le dévoiement de la notion d’affaires courantes était tout aussi manifeste. L’ex-ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet avait procédé à la nomination d’un ex-inspecteur à la tête d’une mission de pilotage sur le remplacement des professeurs absents et Bruno Le Maire, depuis Bercy, avait proposé une baisse « significative » des crédits alloués aux ministères.

Tout cela avait provoqué la colère des sénateurs communistes qui, sous la houlette de Ian Brossat, avaient déposé une proposition de loi « visant à préciser le statut de gouvernement démissionnaire » et à limiter la durée d’un gouvernement démissionnaire à seulement huit jours. L’objectif ? « Éviter le dévoiement des institutions par Macron ». Cette proposition de loi n’a jamais été discutée.