Mal à l’aise sur la réforme des retraites, le RN en devient inaudible
POLITIQUE – « Évidemment », le Rassemblement national est « pour » la suspension de la réforme des retraites. Évidemment aussi, ils ne voteront pas le projet de budget de la Sécurité sociale qui contient la mesure. Petit manque de cohérence ? Au sein du parti lepéniste, la réforme des retraites est devenue un sujet gênant, a fortiori depuis la suspension proposée par le Premier ministre.
« Nous sommes pour la suspension, puisque nous étions contre cette réforme des retraites. Nous étions même en première ligne » lorsqu’elle a été votée, a assuré Marine Le Pen lors de la présentation du contre-budget du RN ce jeudi 23 octobre. En 2023, le parti d’extrême droite figurait effectivement parmi les opposants (parlementaires, et non en manifestation) à la réforme, défendant sa proposition d’un âge légal de départ à 60 ou 62 ans, avec 40 ou 42 annuités.
Officiellement, la proposition n’a pas changé et figure même dans le contre-budget lepéniste, chiffrée à 1,5 milliard d’euros. Pour autant, la ligne du parti d’extrême droite sur le sort qu’il veut réserver à la réforme dite Borne est tordue. Et ça ne date pas d’hier.
Le RN voulait le point, Lecornu le donne au PS
Pendant la campagne des législatives anticipées, la cacophonie du parti sur le sujet est assourdissante. Quand des candidats en campagne, dont des porte-paroles, promettent l’abrogation, des cadres, dont le président du parti Jordan Bardella, laissent planer le doute, par peur d’inquiéter « les investisseurs », comprendre le patronat, nouvelle cible électorale du RN. Jordan Bardella finit par préciser la position de son parti. Mais les décisions contradictoires ne disparaissent pas pour autant.
Octobre 2024, le NFP dépose un amendement au projet de budget de la Sécu pour abroger la réforme. Le RN vote contre, au motif de l’irrecevabilité financière. Mais vingt-quatre heures plus tard, dans sa niche, le RN fait examiner sa propre proposition d’abrogation – laquelle se fait retoquer, justement pour irrecevabilité financière.
Que faut-il en comprendre ? Qu’avant toute chose, le parti de Marine Le Pen veut le trophée de l’abrogation de cette réforme toujours pas digérée par une large majorité des Français. Or, voilà que presque un an plus tard, Sébastien Lecornu, sous menace de la censure, donne le point aux socialistes.
Pour son récit, le RN réécrit l’histoire
Marine Le Pen fulmine. Et lance d’abord une opération de décrédibilisation. Le PS est accusé d’avoir pactisé avec Sébastien Lecornu pour éviter un retour aux urnes et en parallèle, le RN attaque sur la concrétisation de la promesse. « Il n’y aura pas de suspension de la réforme des retraites, tout ça c’est du baratin », fait valoir Jean-Philippe Tanguy. À l’époque, Matignon ne s’est pas encore prononcé sur le véhicule législatif. La piste de l’amendement gouvernemental est évoquée et Marine Le Pen s’en saisit immédiatement pour le critiquer : cela n’aboutira jamais, estime-t-elle en substance. Le RN maintient sa motion de censure, rejetée le 16 octobre.
Deux jours plus tard, et après l’échec de la censure, changement de stratégie. Marine Le Pen partage sur X une publication du constitutionnaliste Benjamin Morel sur la possibilité de passer par une lettre rectificative et « demande en urgence » à Sébastien Lecornu d’y recourir. Elle n’est pas la seule sur le coup, ni la première. Auprès du HuffPost, le président du groupe PS Boris Vallaud assure que cette piste figurait dès le départ parmi les possibles véhicules législatifs proposés par son groupe, ce que nous a aussi confirmé Matignon. « Dans ces moments-là, la politique ne se fait pas sur X », raille le député des Landes.
Qu’importe, au RN, l’histoire est faite pour être réécrite. Le 21 octobre, Marine Le Pen revendique sur X la maternité de la lettre rectificative et Thomas Ménagé, député du Loiret, va jusqu’à parler sur BFMTV de « victoire pour Marine Le Pen qui a forcé le gouvernement ». Prière de ne pas rire : en promettant des censures automatiques, le RN est totalement sorti du radar gouvernemental. Puisqu’il s’octroie le point, le RN n’aura donc aucune difficulté à voter la suspension ? « Évidemment », répond Jean-Philippe Tanguy sur BFMTV ce 23 octobre. Et à faire en sorte que le budget passe, pour que la suspension soit concrétisée ? Là, c’est non.
« Est-ce que nous allons voter pour une aggravation de 20 milliards d’impôts supplémentaires pour protéger cette suspension ? Il n’en est pas question.(…) Il y a dans le PLF et le PLFSS des choix que nous ne pouvons pas soutenir », tranche Marine Le Pen quelques heures plus tard. La triple candidate à la présidentielle ne jure plus de toute façon que par la censure pour mener à la dissolution. Et cette suspension « n’est qu’une excuse pour ne pas voter la censure », estime-t-elle. Le récit est prêt. À condition que les électeurs du parti parviennent (encore) à le suivre.



