Politique

Même sans 49.3, ces autres outils dont dispose Lecornu pour contraindre le Parlement

POLITIQUE – Pour joindre le Parlement, veuillez composer le (01), 45, 47, 40, 44.3. Ce vendredi 3 octobre, Sébastien Lecornu a fait une annonce bien matinale en amont de son rendez-vous avec les différentes forces politiques à Matignon : il renonce à l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution qui permet à un gouvernement d’engager sa responsabilité sur un texte, et donc se passer de vote, tout en s’exposant en retour à une motion de censure.

Une bonne nouvelle pour les roses qui le réclamaient ? Pas forcément. Échaudée après l’accord tacite RN-socle commun sur les postes à l’Assemblée, la gauche y voit pour le moment un coup de poker menteur. Le président du groupe socialiste à l’Assemblée Boris Vallaud s’est empressé de tempérer la promesse du Premier ministre en rappelant qu’il existe d’autres outils à la disposition de Matignon pour manœuvrer et contraindre l’Assemblée.

Et de fait, si l’article 49.3, qui a notamment servi pour la réforme des retraites ou le budget de 2025, est sans doute le plus connu, le texte de 1958 regorge d’autres chausse-trappes, à commencer (en ordre décroissant) par l’article 47, spécifique aux projets de lois de finances.

L’article 47, ou le tempus fugit parlementaire

C’est celui-là même qui empêche l’éventualité d’un « shutdown » budgétaire comme c’est le cas aux États-Unis depuis mercredi. L’article 47 de la Constitution peut se résumer en deux volets : le premier, si l’Assemblée n’a pas encore voté le budget en première lecture au bout de 40 jours, alors le gouvernement peut saisir le Sénat qui n’a lui que 15 jours pour statuer.

Le second : si au final le Parlement ne se met pas d’accord en 70 jours sur le budget, alors le gouvernement peut faire passer son budget par ordonnances. Le 47.1 dit sensiblement la même chose mais cette fois sur le budget de la sécurité sociale. C’est notamment au regard de ces articles que les oppositions craignent que Sébastien Lecornu ne laisse les discussions budgétaires s’enliser dans l’hémicycle, pour mieux reprendre la main ensuite.

Limiter les amendements, la main de fer dans un gant de velours

Et de fait quand il s’agit de reprendre la main, le gouvernement a notamment à sa disposition l’article 45 qui lui permet de s’imposer lorsqu’il y a contentieux entre les deux chambres. Quand la navette parlementaire d’un texte (c’est-à-dire les allers-retours entre l’Assemblée et le Sénat) ne permet pas in fine l’adoption d’un texte après ses deux lectures, celui-ci est renvoyé en commission mixte paritaire (CMP). Moyennant néanmoins demande du Premier ministre ou accord des deux présidents des assemblées, en l’occurrence Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher. Jusque-là rien de neuf, c’est notamment ce qui s’est passé au printemps dernier pour la loi Duplomb.

Le détail qui intéresse Matignon c’est qu’aucun amendement n’est recevable, en CMP, sauf accord du gouvernement, qui garde donc toute latitude sur son texte. Toujours sur le droit d’amendement, l’article 44.3, aussi appelé « vote bloqué », s’avère particulièrement utile à l’exécutif. Il permet au gouvernement de demander à tout moment un vote « sur tout ou partie du texte en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui ». Résultat, un amendement qui aurait été adopté à l’unanimité par l’Assemblée peut tout simplement disparaître du texte en discussion.

Le filtre de l’article 40

Dans la perspective budgétaire, enfin, l’article 40 pourrait s’avérer particulièrement utile à la macronie, en se reposant notamment sur Yaël Braun-Pivet. En trois lignes seulement, dans le long texte de la Constitution, il dispose que les amendements qui entraîneraient « une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique », ne sont pas recevables. Une appréciation laissée à la commission des finances de l’Assemblée nationale puis, en cas de désaccord, à la présidente de l’Assemblée nationale en séance.

Or l’élue des Yvelines n’a pas vraiment la main qui tremble quand il s’agit de protéger le bilan macroniste. En juin 2023 quand les députés LIOT avaient déposé une proposition de loi pour abroger la réforme des retraites en proposant de compenser les pertes par une hausse des taxes sur le tabac, elle l’avait déclaré irrecevable alors même qu’il avait été au préalable accepté par le bureau.

De quoi susciter un tollé, alors que d’autres textes, cette fois portés par la macronie avaient eu, comme l’expliquait Le HuffPost ici, pour effet de créer de nouvelles charges pour l’État compensées par ce même mécanisme sur le tabac. Autant d’articles sur lesquels Sébastien Lecornu ne s’est pas engagé et qui relativisent donc en partie sa promesse sur le 49.3. Non mais allô Matignon ?