Politique

Nicolas Sarkozy perd cette distinction honorifique, et c’est loin d’être un détail

POLITIQUE – C’est une première depuis le maréchal Pétain. Nicolas Sarkozy a reçu une sanction rarissime pour un ancien président : il a été exclu de la Légion d’honneur après sa condamnation, devenue définitive, à un an de prison ferme pour corruption dans l’affaire des écoutes, selon un arrêté publié ce dimanche 15 juin au Journal officiel. Le locataire de l’Élysée de 2007 à 2012 est également exclu de l’ordre national du Mérite.

Il est le deuxième chef de l’État français privé de sa Légion d’honneur après le maréchal Pétain, à qui cette distinction avait été retirée après sa condamnation en août 1945 pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi. Cette décision lourde de symbole était attendue depuis que la condamnation de Nicolas Sarkozy dans l’affaire des écoutes a été rendue définitive par le rejet d’un pourvoi par la Cour de cassation en décembre dernier.

Par la voix de son avocat, Nicolas Sarkozy qu’il « prend acte » du retrait de la Légion d’honneur, tout en signalant que la Cour européenne des droits de l’homme devait toujours examiner son recours. Une éventuelle condamnation de la France par la CEDH « impliquera la révision de la condamnation pénale prononcée à l’encontre [de Nicolas Sarkozy] en même temps que l’exclusion de l’ordre de la Légion d’Honneur, l’une n’étant que la conséquence de l’autre », a assuré Patrice Spinosi à l’AFP.

Dans ce dossier, l’ex-chef de l’État a été reconnu coupable d’avoir, en 2014, tenté de corrompre un magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, dans l’espoir d’obtenir des informations confidentielles et avec l’aide de son avocat Me Thierry Herzog. Tous trois ont été condamnés, en première instance et en appel, à la même peine de trois ans de prison dont un ferme.

Avec le rejet de son ultime recours en France, Nicolas Sarkozy était sous le coup d’une exclusion de la Légion d’honneur qui est automatique quand un récipiendaire est définitivement condamné pour un crime ou écope d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à un an ferme. Dans ces cas, le retrait est « de droit », avait souligné en mars le Grand chancelier de la Légion d’honneur, le général François Lecointre, qui a signé l’arrêté privant Nicolas Sarkozy des deux titres dont il était grand-croix, grade le plus élevé.

Au cours de la procédure, l’ancien patron de la droite française a pu faire valoir ses observations auprès de la Grande chancellerie, a-t-on appris de source proche du dossier. « Le Grand chancelier de la Légion d’honneur s’est assuré auprès d’éminents juristes de la bonne application des textes en vigueur à ce cas spécifique », indique-t-on à la Grande chancellerie. Ces dernières semaines, la perspective de voir l’ex-président déchu de sa Légion d’honneur avait provoqué des récriminations à droite et suscité des réserves au plus haut sommet de l’État.

Macron jugeait qu’un retrait n’était « pas une bonne décision »

« De mon point de vue, de là où je suis, je pense que ce ne serait pas une bonne décision », avait déclaré Emmanuel Macron fin avril en marge d’un déplacement à Madagascar. « Je pense que c’est très important que […] les anciens présidents soient respectés et donc le président de la République que je suis, en tant que grand maître (de la Légion d’honneur, ndlr), ne prendra aucune décision de ce type », avait-il également dit, même s’il n’est pas appelé à intervenir dans les cas de retrait « de droit » comme celui de Nicolas Sarkozy.

Cette prise de parole avait suscité l’indignation de plusieurs descendants de titulaires de la Légion d’honneur, qui avaient interpellé le chef de l’État début mai dans une tribune collective parue dans Le HuffPost. Ils lui « demand[aient] de retirer sa décoration » à Nicolas Sarkozy au nom du Code de la Légion d’honneur qui « n’autorise aucune marge de manœuvre ». « Laisser un ancien Président condamné porter cette décoration, c’est bien sûr porter atteinte à la crédibilité et au prestige de cette distinction honorifique », avaient écrit les signataires.

En tant que grand maître, le président de la République n’a voix au chapitre que dans les procédures disciplinaires classiques dans lesquelles les conditions d’un retrait d’office ne sont pas réunies. Le chef de l’État intervient alors en dernier lieu pour décider d’une sanction après avis du conseil de l’ordre qui peut recommander un blâme, une suspension ou une exclusion.

Évoquant en mars le cas de Nicolas Sarkozy, le Grand chancelier de la Légion d’honneur avait reconnu que « l’opprobre » d’une exclusion était « ressenti extrêmement douloureusement » par celui qui en était frappé. Mais cet ancien chef d’état-major des armées avait insisté sur l’importance des sanctions disciplinaires pour maintenir « l’exemplarité » de l’ordre de la Légion d’honneur.

« C’est un sujet majeur », avait-il affirmé. « Le sujet de la discipline est d’autant plus important que l’exemplarité de l’ordre tient aussi au fait que les gens qui sont décorés puissent être sanctionnés ». En vertu de l’arrêté signé du 5 juin, les deux coprévenus de Nicolas Sarkozy, Gilbert Azibert et Thierry Herzog, sont eux aussi exclus de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite.