Nicolas Sarkozy s’en prend à Mediapart et à son « faux », de quoi s’agit-il ?
POLITIQUE – Une contre-attaque nourrie et ciblée. Dans Le Journal du Dimanche, ce 28 septembre, Nicolas Sarkozy étrille la justice qui l’a condamné à cinq de prison avec mandat de dépôt à exécution provisoire pour associations de malfaiteurs. Fustigeant que « toutes les limites de l’État de droit ont été violées », l’ancien chef d’État s’en prend également à un document publié par Mediapart en 2012 entre les deux tours de l’élection présidentielle. Une pièce numérique aussi appelée « note Mediapart » ou « note Moussa Koussa » et dont la présidente du tribunal a estimé jeudi « que le plus probable est que ce document soit un faux ».
Pour l’ancien chef d’État, « s’il y a un faux » c’est forcément « qu’il y a eu des faussaires, des manipulateurs et donc un complot », et qu’à ce titre, « l’ensemble de l’accusation (…) aurait dû s’écrouler. Or le tribunal a fait exactement le contraire ». Il estime d’ailleurs que c’est ce « faux » qui a jouté un grand rôle dans son échec en 2012.
Cette note écrite en arabe est présentée comme issue des archives des services secrets libyens. Datée du 10 décembre 2006 et signée par Moussa Koussa, l’ancien chef des renseignements extérieurs libyens, elle indique que le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, à hauteur de 50 millions d’euros, a été décidé lors d’une réunion tenue le 6 octobre 2006, en présence de Brice Hortefeux, Ziad Takieddine, Abdallah Senoussi, et Beshir Saleh. Tous les quatre étaient d’ailleurs mis eux aussi en examen dans l’affaire des soupçons de financements libyens.
Une note sur laquelle la justice se penche depuis longtemps
Toujours attaqué par le camp Sarkozy, ce document a fait l’objet d’une bataille judiciaire remportée par le site d’investigation. En janvier 2019, la Cour de cassation a ainsi validé définitivement le non-lieu ordonné en faveur de Mediapart et, sans pour autant dire qu’il s’agissait d’un vrai document, a écarté l’accusation de « faux » martelée par Nicolas Sarkozy.
Les magistrats de l’époque ont pu entendre des témoignages stipulant que « le document présentait les apparences caractéristiques d’un document officiel libyen » et « pouvait apparaître comme typique des habitudes bureaucratiques de l’administration libyenne ».
En parallèle d’autres témoins ont fait remarquer « la mauvaise qualité des en-têtes, l’absence de précision sur le titre du directeur des renseignements, intérieurs ou extérieurs, l’absence de mention du lieu de la réunion, des erreurs d’orthographe ».
Les déclarations de Moussa Koussa sur cette note ont, elles, été confuses, notamment lorsqu’il a dit en audition : « Le contenu n’est pas faux mais la signature est fausse (…). Son origine, son contenu c’est ça. Le contenu de ce document c’est ça qui est dangereux. C’est à vous de savoir si c’est un faux ou un vrai. Je ne vous ai pas dit que c’était faux ou pas faux. »
Par ailleurs, la date du 6 octobre changée de nombreuses fois, suscite aussi des questions, alors qu’il apparaît par ailleurs impossible que Brice Hortefeux se soit rendu ce jour-là en Libye. L’ancien ministre était vraisemblablement à Clermont-Ferrand. Finalement dans l’ordonnance de non-lieu, les magistrats ont estimé qu’il n’était pas possible « d’établir si le document était un faux matériel ».
Mediapart se défend
Mediapart a réagi cette fin de semaine, via notamment sa directrice de la rédaction Carine Fouteau, en faisant part de son étonnement, rappelant que par trois fois la justice a écarté l’hypothèse d’un faux. Et de rappeler dans un article qu’entre « 1969, date de l’accession au pouvoir de Kadhafi, et 2007, la Libye a changé quatre fois de type de calendrier, et les erreurs dans les conversions de dates en calendrier chrétien dans les documents officiels libyens sont fréquentes ».
Le média défend par ailleurs avoir fait « toutes les vérifications et authentifications nécessaires ». « Il serait suicidaire pour un média de diffuser un document d’une telle importance s’il se révélait un jour falsifié », insiste encore le journal d’investigation en ligne, rappelant qu’il « sait qui lui a transmis le document et pourquoi », et qu’il y a par ailleurs des éléments qu’il ne peut pas révéler « en raison du secret des sources ». La rédaction rappelle que la note n’a pas lancé l’affaire libyenne, puisque des articles avaient déjà été publiés sur les soupçons de financements libyens avant.
Le journaliste Fabrice Arfi, insiste lui : ce document a permis de révéler que Brice Hortefeux avait rencontré le terroriste Abdallah Senoussi en Libye. L’ancien ministre ayant lui-même reconnu un voyage en Libye en 2005, bien qu’il dénonce un guet-apens organisé par Ziad Takieddine.
Dans son interview, Nicolas Sarkozy fait de cette note une pièce centrale du jugement sauf que Nathalie Gavarino a bien précisé jeudi que la note n’avait pas été prise en compte par les magistrats dans leurs réquisitions, et que le tribunal n’en a pas tenu compte non plus. C’est bien donc que sa condamnation repose sur d’autres éléments.


