« On s’est tous fait avoir par Bétharram et François Bayrou aussi » – INTERVIEW
POLITIQUE – Il s’est tu pendant des dizaines d’années, mais ce vendredi 25 avril dans les locaux de sa maison d’édition où venait le rencontrer Le HuffPost, Alain Esquerre était intarissable. Le lanceur d’alerte du scandale Bétharram, lui qui a lancé presque en catimini un groupe Facebook pour recueillir la parole d’anciens élèves, publie cette semaine chez Michel Lafon, Le silence de Bétharram.
Système pédocriminel et violent organisé, responsabilités politiques et locales, déni collectif… Alain Esquerre, malgré la fatigue émotionnelle qui entoure la médiatisation, n’entend plus laisser les victimes être silenciées.
Le HuffPost : Vous vivez encore près de Bétharram, malgré la médiatisation de l’affaire, et l’effroi qui saisit la région. Est-ce difficile au quotidien ?
Alain Esquerre : Bétharram, c’est ma maison, c’est le lieu de mon enfance. Si ça m’avait été insupportable, je serais parti. Et je regarde Bétharram avec subtilité, c’est-à-dire qu’il y avait aussi des prêtres extraordinaires pour qui j’ai gardé beaucoup d’affection. Quand je parle avec les habitants, ils me regardent un peu de travers parce qu’ils se seraient bien passés de cette publicité. Mais si on prend le temps d’échanger, ils se rendent compte que Bétharram les a aussi abusés, parce que c’est aussi un moteur du tissu local.
Mais à Bétharram, est-ce que les choses ont vraiment changé ? Tout le monde se tait encore, les réflexes de silence restent les mêmes : l’association des parents d’élèves est muette, l’établissement reste une structure opaque, les journalistes n’ont jamais pu y entrer et personne ne s’est exprimé officiellement pour saluer la parole des victimes. Or ce qu’elles veulent les victimes, ce n’est pas faire le procès de Bayrou ou de leurs parents, c’est entendre un vrai « pardon ».
Dans votre livre vous le martelez : « tout le monde savait ». Comment expliquez-vous dès lors qu’autant de familles ont continué à y scolariser leurs enfants ? Vous évoquez une hyperproximité entre la congrégation avec le Vatican, le prestige de l’établissement était tel ?
Pour moi aussi c’est une question irrésolue. C’est irrationnel. Pourquoi les gens continuent d’y envoyer leurs enfants ? Qu’est-ce qu’on aime se faire mal, c’est très catholique. Les prêtres, ils étaient dans la toute-puissance, à l’époque, tout le monde était totalement dévoué. Il y a une espèce de fascination collective. La dimension sectaire de l’établissement dépassait largement ses murs. C’est ça le déni collectif. Et puis géographiquement, on est dans un contexte de catholicisme fervent. Bétharram, c’est à 15 km de Lourdes, tout le monde passe par le calvaire, c’est un lieu de pèlerinage.
Il y a eu des lâchetés de la part de tout le monde : des responsabilités du juge Mirande, de François Bayrou, de la justice, de l’Éducation nationale, de la population, des enseignants qui n’ont rien dit. Des professeurs racontent qu’ils ont entendu des enfants se faire fracasser la tronche, mais ils sont quand même restés dans l’établissement. C’est aussi tout un mode éducatif violent que l’on vient secouer là.
On voit de plus en plus de témoignages similaires venant d’autres établissements catholiques privés. Bétharram c’est le début d’un nouveau scandale d’ampleur pour l’Église comme l’a été celui de la pédophilie ?
C’est consubstantiel parce que dans le rapport de la CIASE, un tiers des enfants ont été abusés dans des établissements scolaires. On est dans la continuité de ce rapport qui touche plus précisément là l’enseignement catholique. Pourquoi ? Parce que ce sont des établissements où il y a beaucoup d’internats. Bétharram on y mettait les enfants très jeunes, c’était le seul internat de la région.
Il y a quand même là encore une réflexion à avoir sur tous ces parents qui abandonnent leurs enfants à une structure du dimanche soir au vendredi. Ils ont visité les lieux, ils savent très bien que les enfants se retrouvent à soixante avec trois douches. Des parents dont le fils revient à la maison après s’être enfui au milieu de la nuit, a marché 25 km, et se plaint de douleurs anales, mais qui ne veulent rien voir.
Quel regard portez-vous sur le témoignage d’Hélène Perlant, mais aussi la défense de François Bayrou régulièrement jugée bancale ou floue ? Le jugez-vous encore crédible ?
Je ne sais pas. Quand il est intervenu à l’Assemblée nationale, je lui ai dit « vous dites tout est faux, mais tout est vrai, et vous le savez ». Est-ce qu’il est usé par une vie de politique et que certains souvenirs sont partis ? Il ne savait pas pour les violences sexuelles, mais peut-être que les Bayrou en matière d’éducation ça filait très droit aussi. Là, vous avez une affaire, qui touche le père Carricart, mais quand on est catholique pratiquant on croit profondément la parole de l’Église. C’est dur de se dire « je me suis fait avoir » mais c’est ce discours qu’il aurait dû avoir. On s’est tous fait avoir et François Bayrou aussi.
Quant à Hélène son témoignage est d’une sincérité incroyable, elle n’est pas en service commandé. Je suis impressionnée par son courage. C’est très difficile cet épisode médiatique, elle donne une leçon à tout le monde parce que son père est Premier ministre.
Qu’attendez-vous de la commission d’enquête parlementaire et sur le plan politique ?
L’État a tellement failli. Quand j’ai Élisabeth Borne au téléphone elle me dit : « je suis ministre, c’est une école qui est conventionnée, mais je n’ai pas la main ». Ça veut dire qu’on a sur le territoire national des établissements qui font absolument ce qu’ils veulent. Ça va et doit changer.
Je suis content qu’il y ait cette commission mais il faut de l’action et pas juste se contenter de filer un chèque. Les violences sur les enfants coûtent 10 milliards d’euros chaque année. Il faut aussi changer le regard sur les victimes, c’est pour ça qu’avec François Bayrou on a évoqué l’idée d’un statut national des victimes de violences sexuelles ou physiques dans les établissements. Et il faut de la formation, du tutorat, de l’aide, du soutien, pour les enfants et pour les adultes. Il faut aussi mettre en place un dispositif innovant qui permette de traiter les signaux faibles de violences.
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