Politique

Pour réduire la pollution numérique, « rationner Internet » n’est pas la solution miracle

ENVIRONNEMENT – Établir un quota pour utiliser Internet ? Dans notre société où l’écran est roi, au travail comme dans nos loisirs, difficile de s’imaginer se restreindre. Pourtant, le débat a été relancé ce lundi 18 mars, avec une tribune signée par l’ex ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, dans Le Figaro. Jugeant la consommation d’Internet aliénante et polluante, elle propose de limiter notre consommation à trois gigas par personne et par semaine.

Avec cette proposition, elle s’est attiré les foudres d’experts, de la secrétaire d’État chargée du Numérique, ou encore du député Éric Bothorel, qui a dénoncé, dans le tweet ci-dessous, « une tribune qui mélange poncifs, approximations, et erreurs manifestes. Par exemple, l’empreinte environnementale du numérique c’est d’abord les terminaux et leur possession, loin devant les usages ».

Utiliser Internet n’est donc pas si polluant, si l’on en croit les détracteurs de Najat Vallaud-Belkacem ? « 2/3 à 3/4 des impacts environnementaux du numérique se concentrent dans la fabrication des terminaux (télés, ordinateurs, etc.). Le réseau Internet n’est donc pas une source majeure d’impacts », explique à cet égard Frédéric Bordage, fondateur du collectif d’experts GreenIT. fr et auteur de plusieurs livres sur la sobriété numérique, citant une étude de l’Ademe et de l’Arcep datant de 2022. Pour l’expert, « rationner Internet » est donc une « fausse bonne idée », qui ne permettra pas de « réduire significativement » la pollution du numérique.

Se limiter à 10 gigas par mois ?

Cependant, selon cette même étude de l’Ademe-Arcep, les data centers, ces immenses usines concentrant ordinateurs et espaces de stockage qui nous permettent de naviguer sur Internet, sont tout de même la deuxième source de pollution du numérique derrière les terminaux. Concrètement, à chaque fois que vous regardez une vidéo sur votre smartphone, un data center s’active quelque part sur la planète. Ces datacenters fonctionnent 24 heures sur 24 pour nous permettre de regarder des vidéos, avec pour conséquence un coût environnemental colossal.

C’est pourquoi, rationner Internet, comme le propose Najat Vallaud-Belkacem, est au contraire une « très bonne idée », selon Françoise Berthoud, écologue au CNRS. Elle estime : « 10 gigaoctets par mois c’est largement suffisant pour une vie professionnelle et personnelle très active, à condition de limiter sa consommation de vidéos haute définition ! ». Pour vous donner un exemple, télécharger un film en très haute définition comme Pulp Fiction sur Netflix, cela pèse déjà environ 10 gigaoctets, note un rapport de Greenpeace.

La chercheuse, qui utilise elle-même moins de 3 Go hebdomadaire, ajoute : « Limiter Internet aura des effets bénéfiques en cascade, dont la réduction des équipements (smartphone, tablettes…) puisque les besoins auront diminué ».

De son côté, Frédéric Bordage, qui n’est donc pas favorable à la « rationalisation » d’Internet, estime qu’il serait plus judicieux d’« écoconcevoir les contenus et autres services numériques pour en réduire la taille, en permettant aux utilisateurs du streaming de choisir la qualité d’image, voire en proposant des remises à ceux qui n’activent pas systématiquement la très haute résolution (4K) ».

Donner 10 ans pour réparer, mieux appliquer les lois

Les deux experts s’accordent néanmoins pour dire qu’il existe des solutions plus efficaces à la restriction d’Internet pour verdir le numérique. Ils appellent en priorité à allonger la durée de vie de nos équipements.

Sur ce point, Françoise Berthoud propose d’augmenter la durée de la « garantie légale de conformité ». Cette réglementation européenne permet aux consommateurs de faire réparer un appareil défectueux en un laps de temps de deux ans. L’ingénieure plaide pour que cette garantie soit rallongée à cinq ans, voire dix, afin de favoriser la réparation plutôt que le rachat. « Une telle mesure nécessite bien évidemment une réflexion collective de nos pratiques », souligne-t-elle.

Ensuite, la fondatrice d’Ecoinfo, un groupe de scientifiques qui étudient l’impact des nouvelles technologies sur la société, plaide pour l’amélioration et l’application des lois en vigueur. Il existe notamment en France la loi de 2017 sur le devoir de vigilance des entreprises, fixant des obligations en matière environnementale et de droits humains. Mais Françoise Berthoud rappelle que des sociétés arrivent à contourner cette législation : « Par exemple, on sait très bien que le coltan – notamment utilisé pour la fabrication de nos portables et ordinateurs – en provenance du Rwanda ne vient pas de ce pays – qui n’en a pas dans son sol – mais très probablement de zones de Répulique du Congo où les droits ne sont pas respectés en plus des conflits qui tuent encore !  », dénonce-t-elle.

En revanche, chercher « l’optimisation, l’efficacité » des nouvelles technologies pour rendre le numérique plus vert est un leurre, selon l’écologue. Pour appuyer ses propos, elle évoque l’expérience du déploiement de la 5G, une technologie permettant de transmettre très rapidement beaucoup de données, qui a entraîné un effet rebond dommageable. En effet, la 5G vantée pour son efficacité par rapport à la 4G, s’est avérée bien plus énergivore, car elle « transporte plus de données en volume », explicite la scientifique. Pour Françoise Berthoud, la technologie 5G est le parfait exemple pour démontrer que chercher à concilier la transition numérique et écologique est « purement idéologique ».

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