Pourquoi Dati veut tant réformer l’audiovisuel public (même si elle peine à convaincre)
POLITIQUE – « Audiovisuel public. » Plus vous allez sur la droite de l’échiquier politique, plus ces deux termes provoquent des réactions fiévreuses. La pugnacité avec laquelle Rachida Dati s’accroche à la réforme de ce secteur en est une nouvelle démonstration. La ministre de la Culture, qui a obtenu la prolongation de la session parlementaire pour défendre la réforme de l’audiovisuel public, entre dans le dur de la bataille ce lundi 30 juin, avec l’arrivée de ce texte dans l’hémicycle.
Un combat qui débute sur fond de grève illimitée votée à Radio France contre ce projet de holding, dont les objectifs apparaissent au mieux flous, au pire menaçants pour la qualité des productions du service public. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Surtout d’une restructuration. Le texte, voté par le Sénat en 2023, prévoit de réunir Radio France, France Télévisions et l’INA au sein d’une holding exécutive baptisée France Médias.
Pour quoi faire ? Vaste question. Selon Rachida Dati, la réforme vise à doter l’audiovisuel public d’une structure à même de concurrencer les géants du numérique, comme Netflix et Amazon, et de reconquérir un public plus jeune et plus populaire. Le tout, promet-elle, sans aboutir à une fusion, ce qui était pourtant sa position initiale. Ce qui passe, donc, par la mise sous tutelle de ces différentes entreprises, placées sous l’autorité de France Médias, qui définira les stratégies et moyens alloués à ses différentes filiales.
Une idée qui peine à convaincre
L’idée n’est pas nouvelle. Dès 2015, un rapport sénatorial avançait déjà cette idée de holding, reprise quatre ans plus tard, en 2019, par le ministre de la Culture d’alors Franck Riester. Un projet que ce dernier n’a pas pu mener à terme, en raison du Covid. Alors, cela signifie-t-il que cette idée fait consensus chez les connaisseurs du secteur ? Pas du tout. Lors d’une audition en mars 2024, plusieurs anciens ministres de la Culture, de Roselyne Bachelot à Fleur Pellerin en passant par Rima Abdul Malak, ont littéralement dézingué cette idée.
« L’adjonction d’un étage de gouvernance ne garantit ni un meilleur fonctionnement, ni un meilleur respect du pluralisme et de la diversité, ni une meilleure utilisation des deniers publics », a notamment prévenu Fleur Pellerin, quand Rima Abdul Malak a estimé qu’une telle réforme « n’est pas indispensable » au bon fonctionnement du service public. En outre, les arguments mis en avant par Rachida Dati sont facilement contestables.
Les chiffres réalisés par Radio France ne sont pas si désastreux que ce qu’en a dit la ministre au micro de France inter. En plus d’un score qui s’améliore sur les moins de 35 ans et les moins de 25 ans sur un an, selon Médiamétrie, France Inter peut se targuer par exemple d’être la première station de radio généraliste chez les jeunes. Même constat sur la cible « populaire » que la ministre juge négligée. L’audience du groupe sur ce segment progresse sur les dernières années, quand la majorité des autres grandes marques reculent
Quant à la faiblesse présumée de l’audiovisuel public sur le numérique, elle est aussi à relativiser. Radio France cumule à elle seule près de la moitié (47 %) des podcasts téléchargés, tandis que le site de franceinfo (résultant déjà d’une réunion entre le web de France Télévisions et celui de Radio France) est l’un des sites d’actualités les plus consultés du pays. Ainsi, difficile à ce stade de voir en quoi la seule création d’une holding permettra de répondre aux défis exposés par la ministre. À moins qu’il ne s’agisse, sans le dire clairement, de faire des économies, dans le contexte budgétaire que l’on connaît ?
Officiellement, Rachida Dati jure que ce n’est pas l’objet du texte. Et ce, même si le rapport qu’elle a commandé à Laurence Bloch (ancienne directrice de France Inter favorable au projet de holding) cite des économies d’échelle estimées à 10 millions d’euros par an, grâce à « la mutualisation des fonctions support ». Reste que les premiers concernés, à savoir les salariés de l’audiovisuel public, restent particulièrement remontés contre ce projet, perçu comme l’antichambre d’une fusion en bonne et due forme, avec le double objectif de faire des économies et de mettre au pas cette puissance médiatique, placée entre les mains d’un unique PDG.
Affaire personnelle
D’autant que persiste une impression de projet performatif, visant simplement à réformer pour le plaisir de réformer. « Projet de holding en juin 2024, processus holding-fusion en novembre 2024, holding exécutive en avril 2025. Et maintenant ? Cela est la preuve d’un bricolage au service d’une seule chose : l’ambition personnelle d’une ministre, à mille lieues des intérêts des entreprises de l’audiovisuel public et de ses salariés », déplorent dans un communiqué commun les syndicats impliqués dans la grève illimitée à Radio France. Ces formations mettent le doigt sur l’autre aspect de cette bataille : sa dimension purement politicienne.
Car Rachida Dati le sait, un bras de fer gagné contre l’audiovisuel public apparaîtrait à droite comme une formidable victoire politique, tant l’objet visé est symbolique. À ce titre, la ministre de la Culture devrait profiter de l’abstention bienveillante du RN, tant le parti lepéniste (qui prône pourtant la privatisation d’un audiovisuel public qu’il abhorre) ne rechigne pas à l’idée d’infliger un coup dur à « cet odieux service inique », pour reprendre les termes de Julien Odoul.
Un gain non négligeable dans la perspective de sa (probable) candidature à Paris pour les municipales 2026, et qui peut expliquer pourquoi l’intéressée en fait une affaire personnelle. Qui plus est dans un contexte où la ministre a du mal à cacher son hostilité à l’égard de certaines figures ou programmes du service public, Patrick Cohen en tête. Le texte sera étudié à l’Assemblée nationale jusqu’au 1er juillet. En cas de crash (provoqué notamment par l’obstruction attendue de la gauche) la défaite sera lourde pour Rachida Dati. Si elle réussit, la légende de cogneuse qu’elle s’efforce de bâtir s’épaissira d’un chapitre.