Pourquoi Glucksmann est pris dans les feux croisés de Renaissance et de LFI
POLITIQUE – Pris en sandwich. Alors que le candidat de la coalition Place publique-PS aux élections européennes accélère sa campagne avec un meeting organisé ce dimanche 10 mars à Lyon, les balles commencent à siffler autour de lui. Depuis plusieurs semaines en effet, Raphaël Glucksmann se retrouve à la fois attaqué sur sa gauche, notamment par la France insoumise qui le dépeint en « va t’en guerre », et par la Macronie, où on l’accuse de s’être soumis, par l’entremise du Parti socialiste, à… Jean-Luc Mélenchon.
Nouvelle illustration de l’étau entourant l’eurodéputé sortant, un tweet de Jean-Luc Mélenchon publié ce samedi 9 mars, qui réfute l’argument brandi par la tête de liste Renaissance, Valérie Hayer, laquelle a osé un lien hasardeux entre le fondateur de Place publique et le chef de file de la France insoumise.
« La macroniste tête de liste aux européennes accuse le PS Glucksmann d’être sous mon “influence”. Pour protéger d’une telle accusation, je vends des “certificats d’innocence” signés de ma main. 50 euros : “J’aurai honte d’avoir la moindre influence sur le discours de ce personnage” ; 100 euros : “Je désapprouve l’entrée de l’Ukraine dans l’UE que veut ce monsieur” ; 200 euros : “Ce diviseur n’est là que pour empêcher l’union populaire” ; 300 euros : “Un tel va-t-en-guerre mérite une cuisante défaite” », ironise l’ancien candidat à la présidentielle, offrant un condensé de ce que reproche LFI à Raphaël Glucksmann.
Ces dernières semaines, les cadres du parti mélenchonistes ont en effet multiplié les attaques en ce sens, donnant lieu à des règlements de compte à ciel ouvert sur Twitter. « Ils veulent le caricaturer comme un mec qui veut envoyer tous les jeunes du pays sur le front en Ukraine. C’est le nouveau truc après avoir voulu faire croire que c’était un agent de Netanyahou », soupire auprès du HuffPost un cadre socialiste. En parallèle, la Macronie tente elle aussi de neutraliser Raphaël Glucksmann, tantôt en expliquant que ses votes sont finalement proches de ceux des eurodéputés macronistes, tantôt en le dépeignant en affidé de la France insoumise.
« C’est amusant, parce que j’ai l’impression de revivre la situation de 2019 avec la candidature de Yannick Jadot », explique au HuffPost le stratège écolo Alexis Braud. « LFI le caricaturait en affreux macroniste, et LREM faisait la même chose que Renaissance aujourd’hui : expliquer d’abord que cette candidature écolo était sympathique mais inefficace, puis affirmer ensuite qu’il était soumis aux dangereux “gauchistes” de son parti », se souvient l’auteur du podcast Tout doit changer. Car au-delà des divergences politiques, le sort de la tête de liste socialiste pose une question existentielle à Renaissance et à La France insoumise. Explications.
Vote utile
Aujourd’hui troisième dans les sondages, Raphaël Glucksmann représente un sérieux danger pour les deux formations. Pour LFI, une percée du fondateur de Place publique d’ici le 9 juin serait une catastrophe, parce que l’offre politique qu’il incarne deviendrait alors majoritaire à gauche. « Au niveau national, c’est vital pour La France insoumise que Raphaël Glucksmann ne soit pas trop haut. Puisque ce sera compliqué s’il est à 15, 16 ou 17 % d’expliquer qu’il faut faire l’union derrière Jean-Luc Mélenchon pour 2027 », décrypte Alexis Braud, qui estime que le pire scénario pour les insoumis serait que l’intéressé apparaisse lors de la campagne comme le « vote utile » à gauche.
D’autant que les sociaux-démocrates, qui siègent dans le 2e groupe le plus important au Parlement européen, y ont plus de prise que les élus de la gauche radicale, dont l’influence est bien plus faible. Ce qui peut nourrir l’argumentaire du vote utile. À l’inverse, une contre-performance du PS, qui nivellerait les scores des trois principales listes de gauche (écologiste, LFI et socialiste) offrirait dès le 9 juin une opportunité parfaite pour vendre l’union en convoquant l’imaginaire de la Nupes. Et derrière l’homme qui écrase le match à gauche en termes d’intentions de vote : Jean-Luc Mélenchon.
De l’autre côté de la tenaille, « Renaissance veut à tout prix éviter la fuite de l’électorat flottant (que Yannick Jadot avait réussi à attirer en 2019) vers Raphaël Glucksmann », ajoute notre interlocuteur, pointant le risque pour le parti présidentiel de perdre définitivement ses électeurs du centre gauche, échaudés par la loi immigration et les coups de barre à droite successifs entrepris par l’exécutif.
« Alliance objective »
Une hypothèse qui pourrait coûter cher à Renaissance, dont le groupe parlementaire est dans une position délicate. Selon certaines projections de sièges, le groupe présidé par Valérie Hayer pourrait perdre sa 3e place, et donc son statut de groupe pivot. « Ils vendent l’élection comme un match avec Bardella, mais en réalité, le vrai match est pour la deuxième place », souligne encore Alexis Braud. Dans le compilateur de sondages du HuffPost, l’écart est effectivement moins important entre Raphaël Glucksmann et Valérie Hayer, qu’entre la liste de la majorité et celle du RN. Et la candidate macroniste est dans une dynamique de décrochage, quand la tête de liste Place publique-PS est dans une pente ascendante.
Alors forcément, le parti présidentiel regarde lui aussi d’un mauvais œil cet impétrant insensible au clivage entre la majorité et l’extrême droite instauré par la Macronie, principalement basé sur l’Ukraine et le rapport à l’Europe. D’autant que comme avec les insoumis, la présidentielle de 2027 n’est pas loin. « Tout leur intérêt, c’est que ce soit les insoumis qui gardent le leadership à gauche, pour garder cet électorat flottant qui ne votera jamais pour Jean-Luc Mélenchon. D’où cette alliance objective visant à dézinguer Glucksmann », analyse encore celui qui affiche plusieurs campagnes électorales au compteur.
Pour l’heure, et même s’il est annoncé plus haut que son score de 2019, la tête de liste socialiste ne dépasse pas dans les sondages la ligne critique qui ferait paniquer les états-majors de LFI et Renaissance, stagnant autour des 10 % d’intentions de vote.
En espérant que la fusée décolle un jour, certains socialistes ne boudent néanmoins pas leur plaisir de se trouver au centre des considérations. « Quand, à gauche, on est en même temps la cible de la tête de liste macroniste aux européennes et de Jean-Luc Mélenchon, c’est qu’on fait peur… Parce que des électeurs qui en ont marre du libéralisme antisocial et du social-populisme antieuropéen, il y en a beaucoup », ironise sur X David Assouline, membre du bureau national du PS.
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