Politique

Pourquoi la loi sur la réparation des personnes condamnées pour homosexualité ne satisfait pas les militants

POLITIQUE – C’est une proposition de loi qui pourrait ouvrir la voie à la reconnaissance de milliers de victimes d’anciennes lois discriminatoires. Ce mercredi 6 mars, dans la soirée, l’Assemblée nationale a adopté une loi mémorielle visant à offrir réparation aux personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982.

Cette proposition de loi émanant du socialiste Hussein Bourgi avait été approuvée le 22 novembre à la Chambre haute. Mais les sénateurs ont néanmoins refusé d’accorder une réparation financière aux victimes – environ 50 000 personnes en France – comme le prévoyait la version initiale. L’Assemblée l’a rétablie, le texte va donc devoir repasser par le Sénat.

Pour les associations, collectifs (dans ces tribunes ici et ici) et militants LGBTI+, le contenu du texte reste encore trop restrictif, comme l’explique au HuffPost Sébastien Tüller, responsable LGBTI+ à Amnesty International France.

Le HuffPost : Que peut apporter cette proposition de loi (PPL) ?

Sébastien Tüller : Une proposition de loi de ce type-là va forcément dans le bon sens. Le droit à la réparation des persécutions subies par les personnes LGBTI+ est une responsabilité de la France en matière de droits humains. C’est important, pas que symbolique.

Après, c’est très bien de vouloir reconnaître et réparer des persécutions, mais encore faut-il savoir qu’est-ce qu’on veut réparer exactement, sur quelle période, quel type de délit… Quand on parle de pénalisation de l’homosexualité, ça englobe un grand nombre de délits, des pénalisations directes mais aussi indirectes à travers d’autres délits que ceux retenus dans la proposition de loi.

Pensez-vous que le texte ne soit pas assez complet ?

Il y a pas mal de chercheurs qui se sont exprimés pour dire que le texte est trop restreint et restrictif sur la période donnée de la répression retenue de l’homosexualité en France.

La proposition de loi, à l’origine au Sénat, partait de 1942. Mais il y a déjà une pénalisation avant 1942. Et elle s’arrête à l’abolition de la loi en 1982, mais là encore, des recherches montrent qu’il y a eu d’autres formes de pénalisation des personnes LGBTI+ après cette date. Une première difficulté de cette PPL, c’est donc déjà de bien définir ce qu’on souhaite reconnaître et réparer, parce qu’en ayant une approche trop restrictive, on invisibilise d’autres persécutions et répressions à l’encontre des personnes homosexuelles, mais aussi envers les personnes trans et intersexe.

La proposition de loi aujourd’hui ne couvre pas, par exemple, la période de la déportation homosexuelle. Celle-ci a déjà été reconnue par la France sous Jacques Chirac, mais ce qui reste assez paradoxal, c’est que cette proposition de loi aujourd’hui aurait pour conséquence qu’une personne qui est condamnée à une amende pour outrage public à la pudeur en raison de son homosexualité pourrait obtenir une reconnaissance, mais pas une personne qui aurait été déportée, même si elles ont été arrêtées le même jour pour les mêmes faits. D’où la nécessité de mieux cadrer ce qu’on souhaite réparer et de quelle manière.

Le texte initial prévoyait l’indemnisation financière des personnes condamnées, une disposition supprimée au Sénat. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas qu’avec l’argent et une indemnisation qu’on répare des violations aux droits humains. Il y a aussi des garanties de non-répétition. Malgré tout, le mécanisme de réparation financière me semble indispensable. On ne peut pas reconnaître la responsabilité de la France et s’arrêter là. Le droit à la réparation, c’est vraiment une obligation de l’État. Mais les montants financiers ne sont pas du tout à la hauteur de ce que devrait être une reconnaissance historique (10 000 euros par condamnation et de 150 euros par jour de détention avec la disposition initiale, NDLR).

Une forme de réparation possible, ce serait aussi peut-être d’allouer un fonds à la mémoire des luttes LGBT, aux archives LGBT. Cette réparation n’est pas obligée d’être qu’individuelle, elle peut être plus globale, collective. C’est ce qui manque aujourd’hui dans la proposition de loi.

Le texte a-t-il plus de chance d’être voté avec un Premier ministre qui a évoqué publiquement son homosexualité ?

Je ne suis pas sûr que ça change quelque chose. Je suis le premier à dire que ça allait dans le bon sens que la France puisse nommer un Premier ministre ouvertement homosexuel. Maintenant, vu la composition du gouvernement qui a été nommé par ce même Premier ministre, qui a un des gouvernements les plus hostiles aux droits des personnes LGBTI+ si l’on regarde les anciennes prises de parole et position ou les votes des personnes qui ont été nommées, il y a un bilan contre les droits LGBT qui est un des plus dangereux depuis des décennies.

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