Quoi qu’en dise Bayrou, ni gifle, ni tape ne peuvent être « éducatives » – INTERVIEW
VIOLENCES – C’est une image avait marqué la campagne pour l’élection présidentielle de 2002 : celle de François Bayrou giflant un enfant. La scène avait eu lieu lors d’un déplacement à Strasbourg, dans le cadre de sa première campagne présidentielle.
Celui qui était alors candidat pour l’UDF était filmé par les équipes de France Télévisions sortant d’une annexe de la mairie située dans le quartier de la Meinau. En plein bain de foule, soupçonnant un garçon de onze ans de tenter de lui voler quelque chose, il l’avait alors giflé devant les caméras en lui assenant : « Tu ne me fais pas les poches ! » Avant d’ajouter, face aux dénégations du jeune garçon : « Si, tu me faisais les poches ! »
Cet « incident » dit-il quelque chose du rapport à la violence faite aux enfants de François Bayrou ? C’est ce qu’a voulu savoir Paul Vannier mercredi 14 mai, lors de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’affaire Bétharram. Après deux heures d’audition particulièrement tendues, le député LFI, également co-rapporteur de la commission d’enquête, a interrogé le Premier ministre : « Est-ce que cette conception éducative de la gifle explique votre conduite [par rapport à Bétharram] à l’époque ? »
Le locataire de Matignon, qui avait déjà par le passé décrit son geste comme celui d’un« de père de famille sans gravité » et comme un « geste éducateur », n’a pas changé de ligne de conduite. « Je lui ai donné une tape. Pas une claque, je veux dire, pas quelque chose de brutal », a-t-il assuré devant la commission. Avant d’ajouter : « C’était une tape, en effet, de père de famille. Et si quelqu’un ici pense qu’il n’a jamais donné une tape à un enfant, je crois que beaucoup, s’ils sont honnêtes, pourront admettre qu’ils l’ont fait. Pour moi, ce n’est pas de la violence. »
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Une position que déplore la directrice pour la Fondation pour l’Enfance Joëlle Sicamois, qui a répondu aux questions du HuffPost.
Le HuffPost. Comment jugez-vous la ligne de défense de François Bayrou au sujet de la gifle donnée à un enfant en 2002 ?
Joëlle Sicamois. C’est absolument inadmissible qu’un Premier ministre puisse dire ce genre de choses. D’abord, parce qu’il y a une loi votée en 2019 qui interdit les violences physiques et psychologiques faites aux enfants et que, donc, il ne respecte pas la loi. Ensuite, parce qu’en parlant de « petite tape », François Bayrou minimise son acte. Si un homme violent avec sa femme avait le même discours, tout le monde le condamnerait à raison. Mais pour les enfants, on l’accepte. Cela démontre toute la difficulté que l’on a, encore aujourd’hui, à faire évoluer les mentalités.
Ce que dit François Bayrou relève de sa parole de père, pas de celle du Premier ministre, sa pensée personnelle prend le pas sur l’homme politique. C’est d’ailleurs toute la difficulté que l’on a quand on parle des violences éducatives ordinaires (VEO) : tout le monde réagit sous le prisme de sa propre histoire, de sa propre façon d’éduquer ses enfants et personne ne raisonne sous un prisme collectif, pour protéger les enfants. C’est d’autant plus inquiétant que cette séquence intervient alors que se multiplient les signalements de situations de violences faites aux enfants par des institutions. Cette violence est systémique et la parole publique devrait être mobilisée contre elle. Or, M. Bayrou nous dit qu’après tout, une bonne claque, ça n’est pas bien grave. Non seulement il justifie son acte mais il considère même qu’il était nécessaire car il avait une visée éducative.
La violence peut-elle avoir une portée éducative, comme l’affirme François Bayrou ?
Absolument pas. C’est d’ailleurs tout l’objet de la loi de 2019 sur les violences éducatives ordinaires : l’objectif éducatif ne peut justifier une violence faite à un enfant. La seule chose que la violence permet, c’est l’obéissance de l’enfant, voire une forme de soumission à l’autorité. La violence ne permet pas d’obtenir des êtres libres qui vont pouvoir faire société, mais des êtres vulnérables à l’autorité.
Comment expliquer que notre société pense si peu les violences faites aux enfants ?
Encore aujourd’hui, on perçoit les enfants comme des êtres à façonner, à préparer pour le futur, et non comme des détenteurs de droits. Changer ce regard permettrait de recueillir leur parole et de leur laisser une place au sein de notre société. Le problème est qu’aujourd’hui, on ne tolère plus la présence des enfants dans l’espace public. Il faut qu’ils soient sages, calmes alors que c’est absolument impossible.
Comment mieux protéger les enfants contre les violences ?
Ce qu’il manque, c’est une volonté politique forte pour quoi soit enfin déployée une vraie campagne de sensibilisation sur les violences faites aux enfants, afin d’expliquer aux parents et aux éducateurs pourquoi les violences éducatives ordinaires ont un impact négatif sur le développement des enfants. Mais quand on entend ce qui a été dit hier, on comprend mieux pourquoi… Si nos politiques ne sont pas eux-mêmes convaincus de la nécessité de faire cesser les violences faites aux enfants, rien ne changera.
Le Premier ministre a évoqué la création d’une « autorité indépendante » sur les violences faites aux enfants. Qu’en pensez-vous ?
Il existe déjà un haut-commissariat à l’Enfance, un plan de lutte contre les violences faites aux enfants a été déployé… Continuons de capitaliser sur les instances qui existent déjà. Ce qui manque, ce ne sont pas les instances, mais la volonté politique de faire changer les mentalités et les comportements.
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