Politique

REPORTAGE – Les coulisses d’un Congrès historique qui permet l’inscription de l’IVG dans la Constitution

POLITIQUE – « Ah, c’est plus impressionnant que les Quatre Colonnes », lâche Caroline Fiat alors qu’elle pénètre ce lundi 4 mars dans la Galerie des bustes. La députée (La France insoumise) de Meurthe-et-Moselle est dans la file d’élus qui arrivent au Château de Versailles où le Parlement réuni en Congrès s’apprête à inscrire la « liberté garantie » à la femme de recourir à une interruption volontaire de grossesse.

Devant elle, l’ex-Première ministre Élisabeth Borne, répond aux questions de la presse agglutinée. Tout se résume en deux mots : « fierté » et « historique ». La plupart sont venus en bus. L’ambiance était bonne, à en croire les photos publiées sur X. Un collaborateur s’amuse : « C’était quelque chose le bus qui grille les feux rouges sous escorte policière ! »

Dans l’hémicycle, une fois n’est pas coutume, les élus ne siègent pas par groupe politique mais par ordre alphabétique. Karl Olive, député Renaissance des Yvelines se retrouve donc entre Danièle Obono de LFI et Julien Odoul du RN. Il ne s’en formalise pas : « L’ensemble des élus présents aujourd’hui a été élu démocratiquement, cela ne me pose aucun problème », balaie-t-il.

Des selfies pour un jour « historique »

Le ciel est bleu, sans nuage et l’ambiance est détendue. Pourtant en coulisses, il a fallu faire vite. L’évènement, annoncé cinq jours seulement avant sa date prévue, a mis en branle le Château : ne serait-ce que pour le vote, pour lequel il a fallu trouver huit salles disponibles, une gageure. Les fléchages « presse », « vestiaires parlementaires », « accès parlementaires », « accès réservé », « sanitaires » sont partout mais cela n’évite pas quelques errements. Élus et collaborateurs, habitués des méandres des Palais Bourbon et du Luxembourg, sont hésitants.

La salle du Congrès, construite à la fin du XIXe siècle, est immense : assez pour accueillir les 925 élus convoqués, moins une vingtaine d’absents environ. Les présents cherchent leur place avec le plan dans une main. Et leur téléphone dans l’autre : selfies, photos avec les collègues voire vidéos pour les plus audacieux. Si beaucoup d’élus n’en sont pas à leur premier congrès à Versailles (trois ont été réunis depuis fin 2015), le sujet du jour, « historique » comme ils ne cessent de le marteler, appelle l’émotion.

« À l’époque de Simone Veil, j’avais 18 ans »

C’est donc dans un silence quasi religieux que retentissent les tambours de la garde républicaine qui annoncent l’entrée de Yaël Braun-Pivet. Vêtue de bleu, elle s’avance et s’installe. Première femme présidente de l’Assemblée nationale, elle est aussi la première femme à présider une séance du Congrès. Empruntant les mots de Simone Veil qui « s’excusait », il y a cinquante ans, de plaider pour la légalisation de l’IVG « devant une Assemblée presque exclusivement composée d’hommes », Yaël Braun-Pivet dit « sa fierté » d’être à la place qui est la sienne aujourd’hui. Les applaudissements sont nourris.

Le nom de l’ancienne ministre de Jacques Chirac ne cessera pas de résonner dans l’hémicycle. Y compris dans la bouche d’Hélène Laporte, députée RN et oratrice de son groupe. « Je voudrais ici rappeler les mots de Simone Veil. Personne n’a jamais contesté que l’avortement… », déclare-t-elle. Huées dans l’hémicycle. La prise de parole de l’élue du Lot-et-Garonne sera la seule à susciter de francs mécontentements. Les avis divergent et à la tribune, les orateurs ne s’en cachent pas. Olivier Marleix, président des députés LR, regrette ainsi qu’un amendement de la droite pour supprimer le terme de « garantie » n’ait pas été adopté. Mais, conclut-il, « quoi qu’il en soit, ce vote, nous le devons à la liberté des femmes. »

À l’Assemblée nationale comme au Sénat, rarement les échanges se sont tenus dans une ambiance aussi solennelle. Avant même le vote, Geneviève Darrieussecq, ex-ministre MoDem, dit son émotion. « À l’époque de Simone Veil, j’avais 18 ans et je venais de commencer mes études en médecine. Je suis issue d’un milieu rural où, même si on n’en parlait pas, je sais qu’il y a eu des drames. C’est d’autant plus prenant à travers ce souvenir », raconte-t-elle.

Un vote comme « un raz de marée »

Le résultat du vote ne faisait aucun doute. Mais sa portée dépasse les attentes : 902 votants, 852 suffrages exprimés, soit une majorité des deux tiers à 512. Et finalement, 780 votes pour. Un « raz-de-marée », dira la sénatrice écologiste Mélanie Vogel à la sortie, toute de blanc vêtue comme plusieurs de ses collègues. Et les contre ? Combien de votes contre ? Personne ou presque n’a entendu « 72 », la fin de la proclamation des résultats ayant été noyée sous les vivats. Jusqu’à la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet qui, debout, applaudit longuement.

Devant la presse quelques instants plus tard, elle confiera être venue avec deux de ses enfants, dont une qui n’a pu retenir ses larmes. Pas plus qu’un groupe de quatre femmes, discrètement installées dans la tribune réservée aux invitées qui surplombe les sièges des parlementaires. Elles sont les représentantes des associations de défense des droits des femmes, parmi lesquelles le Planning familial. À l’annonce des résultats, elles se tombent dans les bras et brandissent des foulards verts, couleur de la lutte pour le droit à l’avortement en Amérique Latine et en particulier en Argentine. Avant d’entonner l’hymne des femmes dans l’hémicycle, suivies par une partie des élus.

La modification de la Constitution, actée, sera concrétisée le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, lors d’une « cérémonie de scellement », a annoncé le président de la République après le vote. Le château de Versailles se vide peu à peu. Et dans la Galerie des bustes, un député sifflote l’hymne des Femmes.

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