Politique

Retraites, dissolution, budget, Macron… Le HuffPost répond à vos questions sur la crise

CRISE – La balle est revenue à l’Élysée. Après deux jours de négociations de la dernière chance, Sébastien Lecornu a rendu ce mercredi 8 octobre ses conclusions à Emmanuel Macron qui a désormais une décision à prendre. Les 48 prochaines heures apporteront de premières réponses mais sans garantie qu’elles mettent fin à la crise inédite que traverse la Ve République.

Depuis mardi, vous avez été nombreux à nous poser des questions (à l’adresse politique@huffpost.fr) sur les raisons de cet emballement et sur les conséquences qu’il pourrait avoir pour le pays. Voici quelques éléments pour tenter de vous éclairer.

Est-ce vraiment l’entrée de Bruno Le Maire qui a provoqué la colère de Bruno Retailleau ?

Elle a pu jouer, c’est vrai, mais c’est moins l’entrée de Bruno Le Maire que la pression qui pesait sur le président des Républicains qui a joué. Au sein de son parti, certains poussaient dès dimanche après-midi pour ne pas entrer dans le gouvernement, à l’image de Laurent Wauquiez. Officiellement pour ne pas être associé au macronisme finissant, officieusement pour que la lumière de Beauvau cesse d’éclairer Bruno Retailleau dans l’optique de 2027.

La nomination de Bruno Le Maire, qui est à droite associé à l’image du traître et au dérapage du déficit, a agi comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase, et a servi de prétexte pour gérer sa fronde interne d’autant que le ministre démissionnaire de l’Intérieur assure qu’elle lui a été cachée par Sébastien Lecornu. C’est vrai aussi que le président des LR aurait préféré compter plus de membres de son parti au sein de l’appareil gouvernemental.

Les ministres restés seulement une nuit en poste doivent-ils tout de même faire une déclaration de patrimoine à la HATVP ?

En théorie, un ministre a deux mois pour fournir à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration de patrimoine et une déclaration d’intérêts. Une formalité que n’auront pas à remplir les ministres qui ne sont déjà plus en poste alors même que ce délai n’a pas été dépassé. À noter que début 2025, la HATVP n’avait pas eu le temps de finir de contrôler les déclarations du gouvernement Barnier avant sa chute ; ces documents n’ont donc jamais été publiés.

Par ailleurs, et pour couper court à toute polémique, Sébastien Lecornu a confirmé qu’aucun des ministres éphémères ne touchera les trois mois d’indemnité auxquels il aurait pu prétendre.

Emmanuel Macron a-t-il vraiment le choix pour la suite ?

D’un point de vue institutionnel, il dispose de plusieurs choix : dissoudre l’Assemblée nationale (il ne le souhaite pas), nommer qui bon lui semble à Matignon ou même de démissionner. Pour autant, il est contraint par la situation politique. Après trois nominations de centre droit qui ont terminé en échec, le chef de l’État sait que les mêmes causes produiront les mêmes effets. On pourrait se dire qu’il n’a pas d’autre choix que de nommer un Premier ministre de gauche, mais c’est oublier qu’il pourrait très bien choisir un gouvernement technique dont la mission serait de bâtir un budget, en actant un accord de non-censure avec la gauche au prix de multiples concessions (comme un débat sur la suspension de la réforme des retraites). Dans la mesure où il exclut de démissionner, il est obligé de trouver une issue politique à la crise. Mais sa marge de manœuvre se rétrécit.

Pourquoi Emmanuel Macron ne nomme-t-il pas Jordan Bardella ou Marine Le Pen à Matignon ?

Sur le papier, rien ne l’en empêche. Et il existe probablement un monde où un gouvernement RN fort d’une majorité relative à l’Assemblée réussisse à gouverner en s’appuyant sur des LR qui penchent vers l’extrême droite. Mais politiquement, ça semble insensé. Car il a été élu deux fois président de la République grâce au barrage contre l’extrême droite. Ouvrir les portes au RN serait non seulement renier la promesse faite à deux reprises aux électeurs qui ont voté pour lui en 2017 et 2022 face à Marine Le Pen, mais ce serait aussi remettre en cause sa légitimité, le sens d’un double mandat présidentiel forgé sur le « barrage républicain ».

Enfin, Emmanuel Macron est très soucieux de l’image qu’il laissera dans l’histoire. Pas sûr donc qu’il soit à l’aise avec l’idée de rester comme le premier président de la Ve République à avoir permis l’installation de l’extrême droite au pouvoir.

Une alliance entre la gauche et Renaissance est-elle possible ?

Une alliance au sens d’une coalition comme Renaissance en avait formé une avec Les Républicains n’est envisagée par aucun acteur, le Parti socialiste refusant ainsi un gouvernement avec des macronistes. En revanche, le PS fait le pari que si l’un de ses représentants était nommé à Matignon, une large partie du parti macroniste accepterait de ne pas le censurer. Ce même accord de non-censure a été recherché en vain par François Bayrou pendant plusieurs semaines ; ce mercredi, Sébastien Lecornu a fait démentir par son entourage des rumeurs laissant entendre qu’il pourrait être reconduit à Matignon après un accord du PS à ne pas le censurer en échange de l’abandon de la réforme des retraites.

Pourquoi des mesures de gauche comme la suspension de la réforme des retraites sont-elles désormais considérées comme des marqueurs d’extrême gauche par le centre ?

Sans aller jusqu’à en faire, comme vous le dites un « marqueur d’extrême gauche », le centre ou plutôt la coalition macroniste a fait jusqu’à ces dernières heures de cette réforme des retraites un totem. Pour une raison principale : elle est, depuis la réélection d’Emmanuel Macron, la seule réforme économique et sociale majeure, l’aile droite de l’ancien socle commun considérant même qu’elle ne va pas assez loin. La remettre en cause revient à revenir sur l’un des héritages du président Macron. Mais, conscients qu’elle est en réalité le vrai point de départ de la crise qui se poursuit aujourd’hui, certains (dont Élisabeth Borne) ont acté qu’il valait peut-être mieux la remettre qu’en venir à une dissolution qui pourrait avoir pour conséquence de faire accéder l’extrême droite à Matignon.

Une dissolution empêcherait-elle d’avoir un budget au 31 décembre ou l’exécutif a-t-il des leviers pour y parvenir ?

Une dissolution qui est écartée à ce stade par Emmanuel Macron serait un sérieux contretemps dans le calendrier budgétaire mais elle n’empêcherait pas l’adoption d’un budget car la loi organique relative aux finances publiques (loi LOLF) prévoit deux solutions de secours. La première est le vote, une fois la nouvelle Assemblée installée, d’une loi spéciale. Elle permet à l’État de percevoir les impôts existants pour financer les services publics et éviter une paralysie en attendant l’entrée en vigueur d’une vraie loi de finances (PLF).

La deuxième option consiste à faire voter le Parlement uniquement sur la partie « recettes » du projet de loi de finances, afin que l’État continue à fonctionner. Le volet « dépenses » est renvoyé à plus tard. Cette option a déjà été utilisée une fois, en 1962 après la dissolution de l’Assemblée par le général de Gaulle.