Sur la drogue, l’exécutif choisit (encore) Marseille, au risque d’un énième coup de com’
POLITIQUE – Peut-on faire des annonces contre le narcotrafic ailleurs qu’à Marseille ? Ce vendredi 8 novembre, c’est la cité Phocéenne qu’ont choisie les ministres de l’Intérieur Bruno Retailleau et de la Justice Didier Migaud pour présenter de nouvelles mesures de lutte. Exactement comme leurs prédécesseurs Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti seulement huit mois auparavant.
Le 19 mars 2024, les locataires des places Vendôme et Beauvau avaient choisi Marseille pour lancer la première « Opération Place nette XXL ». Le dispositif dans son ensemble avait été annoncé par le président de la République fin 2023. Mais c’est bel et bien la cité phocéenne qui avait été retenue pour expérimenter sa version renforcée.
À l’époque, Gérald Darmanin avait justifié le choix de la ville par son souhait de « viser le cœur du réacteur ». L’opération avait fait l’objet d’une communication léchée de la part du ministère de l’Intérieur et Emmanuel Macron lui-même s’était fendu d’une visite surprise dans la ville pour appuyer les ministres. Mais au-delà de l’affiche, l’efficacité des plans successifs contre la drogue est incertaine.
Marseille, zone d’expérimentation idéale
Le déplacement de Bruno Retailleau et Didier Migaud intervient après une succession de drames, en lien établi ou supposé avec le narcotrafic. À Rennes, à Poitiers, mais aussi à Marseille avec deux narcomicides en deux jours début octobre. En 2023, 47 homicides ont été identifiés en lien avec le narcotrafic, « soit plus de neuf homicides sur 10 perpétrés à Marseille », selon un rapport de juillet 2024 de la Cour des comptes.
Face à ces indicateurs plus hauts que la moyenne nationale, la lutte contre le trafic de stupéfiants a donc été érigée comme une des deux priorités des forces de police marseillaises. Et de fait, la ville est devenue le terrain de prédilection des responsables politiques pour vendre leurs stratégies antidrogue.
En 2012, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault se rend sur place pour annoncer la création des Zones de Sécurité Prioritaire (ZSP) avec une méthode dite « d’approche globale. » En 2015, c’est aussi à Marseille qu’est signé un protocole d’expérimentation pour une stratégie de « pilotage renforcé » pour « assurer une meilleure coordination et coopération » entre les services. Quatre ans plus tard, en 2019, la Garde des Sceaux Nicole Belloubet et le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner le généralisent dans le cadre du Plan de lutte contre les stupéfiants… présenté à Marseille.
30 ans de politique répressive aux effets divers
Décor privilégié des annonces depuis une décennie, Marseille n’en reste pas moins toujours minée par le trafic. Au point que, moins d’un an après l’opération XXL de Darmanin, son successeur y revient pour apporter sa pierre à l’édifice. De quoi faire sérieusement douter sur l’efficacité des annonces en grande pompe.
En 2012, la méthode dite de « stratégie globale » avait pour objectif de « perturber durablement » voire de désimplanter les réseaux des trafiquants. Elle a, selon une étude menée sur 18 mois par des chercheurs et citée par la Cour des comptes, « au mieux, momentanément arrêté ou déplacé le trafic de stupéfiants ». En 2019, le plan national de lutte qui promeut une stratégie de « pilonnage » des points de deal obtient de premiers résultats jugés « très encourageants » par la préfecture des Bouches-du-Rhône.
Entre fin 2020 et fin 2023, 43 % des lieux de trafic ont été fermés, « une réussite » salue la Cour des comptes. L’institution note aussi la hausse des infractions pour usage de stupéfiants et du nombre de dealers interpellés et une « stabilité » dans les saisies de cannabis et de cocaïne. Mais le bilan des « Opérations Place nette », dernière action publique d’ampleur, est lui plus mitigé. Dans un rapport rendu en mai 2024, les sénateurs Etienne Blanc (LR) et Jérôme Jourdain (PS) ont jugé que la stratégie de Gérald Darmanin avait été « utile » mais avec des résultats « modestes ».
D’une façon générale, la politique de ces 30 dernières années, répressive et concentrée sur des actions ponctuelles, est critiquée : « Il y a une ambiance générale au tout-répressif. Si on n’adapte pas les peines, on ne va pas régler les problèmes. Tout autre discours est inaudible. La violence appelle la violence », déplore auprès de l’AFP un magistrat qui a longtemps travaillé sur le sujet.
Faire vite et (pas) bien
Désormais aux manettes, Didier Migaud et Bruno Retailleau ont dit vouloir s’inspirer d’une proposition de loi issue du rapport sénatorial. Plus que la répression, le texte met l’accent sur le volet judiciaire, avec la création d’un parquet spécial, projet soutenu par une partie de la magistrature spécialisée. Il prévoit aussi une évolution du statut de « repenti » et la création d’une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée. Problème : il devra passer par le Parlement, ce qui n’arrivera pas avant janvier 2025.
Or, le chef du gouvernement Michel Barnier, « très mobilisé sur ce sujet » (et dont la survie politique reste incertaine), n’entend pas attendre aussi longtemps pour agir. À la veille de leur déplacement à Marseille, le Premier ministre a réuni ses deux ministres à Matignon. À l’issue, Michel Barnier a annoncé travailler sur « un plan gouvernemental » avec entre autres « une meilleure organisation des juridictions spécialisées, de nouveaux moyens d’enquête pour les force de l’ordre et magistrats. »
Lors d’une conférence de presse prévue vendredi matin, Didier Migaud et Bruno Retailleau en présenteront les grandes lignes, ainsi que « des directives claires pour une mobilisation immédiate et un renforcement des moyens ». Avec le risque de vouloir faire vite et pas si bien. Dans son rapport, la Cour des Comptes citait le bon exemple de la cité de la Paternelle (XIVe) où le narcotrafic a pu être démantelé grâce à « la méthode globale » et le travail entre les services de police et « une mobilisation forte et réitérée » pendant deux ans. Comprendre : grâce à un travail coordonné et sur le temps long.
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