Politique

Tous les défis sur la route de Raphaël Glucksmann s’il veut transformer l’essai

POLITIQUE – Raphaël Glucksmann a pris l’habitude de faire sa rentrée politique à La Réole, petite commune de Gironde aux 4 000 habitants. Ces 4 et 5 octobre, l’eurodéputé social-démocrate réunit donc les siens avec une panoplie de sujets à aborder dans sa besace. Nouveau gouvernement, budget, élections municipales, espoirs de paix à Gaza, primaire à gauche…

Mais avant de se projeter tête baissée vers les mois à venir, Raphaël Glucksmann sait qu’il doit en passer par un exercice d’autocritique. Car l’heure des premiers bilans a sonné. L’an dernier, l’homme fort des européennes, déçu de s’être fait voler la vedette au soir des élections par l’annonce de la dissolution, avait fixé un calendrier. Neuf mois pour bâtir un projet, structurer son mouvement et espérer, pourquoi pas, jouer dans la cour des grands. Il sait bien que son mouvement, Place publique, ne pèse pas lourd face aux rouleaux compresseurs insoumis, socialiste et écologiste. Douze mois plus tard, le compte n’y est pas vraiment.

Certes le député européen a présenté, en juin, une première esquisse de programme, centré sur l’Europe, le travail et l’écologie. Mais il n’a pas réussi, pour le moment, à construire la grande force sociale-démocrate qu’il espérait voir advenir, sorte de point de ralliement à de nombreux talents. En un an, la seule personnalité marquante qui l’ait rejoint est Sacha Houlié, ex-député macroniste. Sur un segment politique plutôt réduit, coincé entre le Parti socialiste et Renaissance, et en concurrence avec ce qu’essayent de bâtir des figures comme Bernard Cazeneuve, Carole Delga ou Jérôme Guedj, Place publique ne compte qu’un sénateur, deux députés et un maire de grande ville (Saint-Brieuc).

Car c’est bien son attachement au reste de la gauche que doit dénouer Raphaël Glucksmann. Après avoir soutenu le NFP du bout des lèvres en juin 2024 face au péril de l’extrême droite, l’ancien essayiste prend chaque jour un peu plus ses distances avec les partis ayant composé la coalition. Dernier exemple : son refus d’appeler à voter au second tour pour la candidate de La France insoumise Martha Peciña dans la 5e circonscription des Français de l’étranger. Là où le PS appelle clairement à soutenir la candidate de gauche face à celle de Renaissance, Raphaël Glucksmann s’en tient à un « ni-ni » jusque-là jamais vu à gauche. « La cote d’alerte est atteinte, a affirmé Jean-Luc Mélenchon en meeting le 1er octobre. Appeler à voter pour le candidat de gauche au second tour est une règle qui a plus de cent ans ».

« Ce n’est pas le candidat des socialistes », dit Faure

Porté par un récent sondage de l’Ifop, réalisé pour Sud Radio et L’Opinion, qui le donne à 15 ou 16 % selon les configurations, l’eurodéputé n’est pas franchement en odeur de sainteté au sein du reste de la gauche. Même Olivier Faure, qui a pourtant lancé la carrière politique de Raphaël Glucksmann en le propulsant tête de liste aux élections européennes de 2019, le sortant de son activité d’intellectuel engagé, n’est pas convaincu. « C’est vraisemblable qu’aujourd’hui Raphaël soit celui qui, à gauche, est le mieux placé. Mais ce n’est pas le candidat des socialistes. Il est pour l’instant le candidat de Place publique », a lancé le Premier secrétaire du PS depuis le cortège syndical ce jeudi 2 octobre.

Du côté des Écologistes, la crispation est la même. « On ne va pas se laisser enfermer dans les stratégies personnelles. Si chacun reste avec sa pureté militante, on finit avec l’extrême droite au pouvoir », a confié Marine Tondelier au Parisien, ciblant en sous-texte Raphaël Glucksmann. Elle sera tout de même présente à La Réole pour défendre l’unité de la gauche et la nécessité d’une primaire en vue de 2027.

Un positionnement économique parfois ambivalent

Sur le fond, l’ex-tête de liste aux européennes (13,8 %) est parfois ambivalente. Il dit vouloir « replacer les travailleurs au cœur du contrat social », estimant dans La Tribune dimanche du 27 septembre que « la gauche a arrêté de parler aux travailleurs et de les entendre », mais s’est illustré ces dernières semaines par son refus d’appeler à la nationalisation d’ArcelorMittal. Ce qui avait suscité la réprobation de François Ruffin. « À ne pas rencontrer les ouvriers, les syndicats, vous racontez des âneries. Le désaccord porte sur une attitude politique : avec les gens, à leurs côtés, les écoutant, leur répondant. Ou à distance, avec une forme d’arrogance, depuis le Paris des sachants », lui avait écrit le député de la Somme dans une lettre.

Il y a là un nœud que doit résoudre Raphaël Glucksmann s’il veut transformer l’essai. En construisant l’essentiel de sa carrière politique sur des sujets internationaux et européens, en faveur de la démocratie dans le monde, en soutien aux Ouïghours, en opposition à Vladimir Poutine et Donald Trump, il a moins misé sur le franco-français. S’il compte remporter l’élection présidentielle (à laquelle il n’est pour le moment pas officiellement candidat), l’eurodéputé devra sans doute se défaire de son image de Parisien déconnecté, qui avait coûté cher à Anne Hidalgo en 2022.

D’autant que l’ADN de celui qui déclarait-il y a quelques années « quand je vais à New York ou à Berlin, je me sens plus chez moi culturellement, que quand je me rends en Picardie », pourrait offrir des angles d’attaques à ses concurrents. « Ce que Jean-Luc Mélenchon espère par-dessus tout, c’est que Glucksmann soit le candidat de la gauche de gouvernement, seul moyen pour lui de faire une campagne tout confort, a théorisé l’un des interlocuteurs réguliers de l’insoumis dans L’Opinion. Ce n’est certainement pas la social-démocratie germanopratine aux discours sirupeux qui va l’empêcher de performer ». Il reste un an et demi à Raphaël Glucksmann pour se tailler une stature de présidentiable et se frayer un chemin.