Santé

« C’est fréquent de refuser des enfants » : À l’hôpital, la néonatologie est à bout de souffle

SANTÉ – De la troisième à la… vingtième place. En 20 ans, la France a dégringolé au classement européen de la mortalité infantile, selon un rapport de la Société Française de Néonatologie (SFN) paru ce lundi 9 octobre 2023, qui alerte sur l’état très préoccupant de ce secteur de l’hôpital.

Soignants en sous-effectifs, nombre de lits insuffisants, fatigue intense… Ce rapport met en lumière les nombreuses failles des services de néonatologie, qui accueillent des nouveau-nés souvent prématurés ou nécessitant des soins intensifs et des traitements immédiats.

« Les cas des nouveau-nés qui ont besoin d’être hospitalisés sont plus fréquemment complexes et les soins plus techniques », constate Elsa Kermorvant, la vice-présidente de la SFN et pédiatre néonatal que nous avons contactée.

Problème : le secteur n’a pas reçu les moyens nécessaires pour faire face à cette évolution. La plupart des services se retrouvent submergés face la quantité de travail à fournir. Toujours selon le rapport de la SFN, la mortalité néonatale – durant les 28 premiers jours de vie – représente aujourd’hui 74 % de la mortalité infantile, contre 65 % en 2005.

Les soignants qui travaillent en néonatologie, qu’ils soient médecins ou infirmiers, se disent « frustrés » et « épuisés » face à la situation. Pour Le HuffPost, ils témoignent de leurs conditions de travail, dans des services où tout se fait « dans l’urgence ».

« On a ni le temps, ni les moyens »

Claire*, infirmière puéricultrice depuis 15 ans, résume la situation : « On nous demande d’être plus performants techniquement, plus présents dans l’accompagnement à la parentalité et dans le développement des compétences du nouveau-né prématuré. Mais on a ni le temps, ni les moyens. »

Les soignants priorisent donc les traitements d’urgence au détriment de « tout ce qui est annexe », comme l’accompagnement des mamans pour l’allaitement ou le développement de l’oralité du bébé. En résulte une immense frustration chez le personnel. Tous les soignants interrogés déplorent ainsi de ne pas pouvoir faire leur métier correctement.

Cette situation débouche aussi sur des épuisements professionnels, beaucoup de départs et des burn-out, selon le professeur Alain Beuchée, pédiatre néonatal dans un hôpital de l’ouest de la France : « Les professionnels s’épuisent alors qu’ils ne demanderaient qu’à rester s’ils avaient des meilleures conditions de travail. » Selon le rapport de la SFN, 80 % des pédiatres néonatals dépassent la durée légale maximale de travail hebdomadaire (50 heures).

Qui plus est, le soutien psychologique pour le personnel, dans certains services de néonatologie, est inexistant. Alors que la charge émotionnelle peut être très forte. « Les soignants font parfois face à des familles en deuil qui ont perdu un bébé. La plupart n’ont aucune aide psychologique, même pas une épaule ou un groupe de parole », alerte Charlotte Bouvard, la fondatrice de l’association SOS Préma, qui révèle que « des soignants appellent le numéro vert qui est destiné à la base aux familles ».

« On s’épuise pour garantir la continuité des soins »

Le cas des infirmières en néonatologie est symptomatique de la crise du secteur. Les effectifs légaux sont définis selon des décrets de 1998, en fonction de la charge de soin théorique de l’époque, qui n’est plus en adéquation avec celle d’aujourd’hui. En clair : il faudrait plus d’infirmières que ce que prévoit la loi. Mais même les règles fixées par ces décrets ne sont pas respectées, puisque, selon le rapport de la SFN, les infirmières en néonatologie sont en moyenne en sous-effectif sur 58,8 % de leurs journées.

« Le travail sera fait quoi qu’il arrive », assure Clémence*, une infirmière puéricultrice en néonatologie dans un hôpital du Grand Est. « Ce sont des services où on ne peut pas faire les choses à moitié », insiste-t-elle avant de dénoncer : « La hiérarchie joue là-dessus et n’embauche pas. Alors on s’épuise en faisant toujours plus pour garantir la continuité des soins. »

Les soignants dénoncent aussi un souci dans la formation des infirmières. Il n’y a plus aucun enseignement de pédiatrie ou de néonatologie dans le programme du diplôme d’état. Celles qui n’ont pas effectué l’année de formation supplémentaire pour devenir infirmière puéricultrice doivent donc être formées par le personnel de néonatologie quand elles arrivent dans le service. « Étant donné le manque de personnel, le temps de formation est réduit. Certaines infirmières manquent malgré elles de certaines connaissances et compétences », déplore Claire.

D’une manière générale, Elsa Kermorvant constate : « C’est très difficile de trouver du personnel. Les jeunes ne sont plus prêts à sacrifier leur vie privée au bénéfice de leur vie professionnelle. » D’autant plus que, selon les personnes interviewées, le secteur manque aussi de kinés, d’orthophonistes, de diététiciens ou encore de conseillères en allaitement, qui fournissent les soins annexes.

L’impact sur les bébés et les parents

La vice-présidente de la SFN rappelle aussi la forte disparité du nombre de places sur le territoire. Selon le rapport, le taux d’occupation des lits dépasse 95 % dans près de la moitié des unités (43 à 44 %). Ce qui entraîne de nombreux transferts de nouveau-nés souffrants dans des services moins saturés.

« C’est fréquent de refuser des enfants, faute d’effectifs soignants adaptés », révèle Alain Beuchée. « Il nous arrive de transférer des bébés après la naissance à 150 kilomètres du lieu de vie des parents plutôt que de le prendre en charge localement. Ce qui est associé à un risque accru de mortalité et de morbidité. »

Cette situation « absurde et inefficace » entraîne parfois un éloignement des parents. « Le nouveau-né devrait avoir accès à ses parents 24 heures sur 24, avec des peaux à peaux quotidiens, pour créer le lien affectif. Si le bébé n’a pas cette présence, il risque de se retrouver dans une sorte de détresse psychologique », dénonce-t-il.

L’autre option, selon le médecin pédiatre, est de « transférer la maman avant l’accouchement vers le centre qui a le niveau de soin qui correspond au niveau de précarité du bébé… et qui a de la place ». Ce qui diminue les risques pour le nouveau-né, mais ne résout pas le problème de l’éloignement géographique.

Face à ces constats « alarmants », la SFN réclame l’ouverture de discussions avec la Direction Générale de l’Offre de Soins afin de revoir l’organisation des soins critiques en néonatologie. Et sa vice-présidente, Elsa Kermorvant, rappelle : « Les taux de succès de réanimation néonatale font que la plupart des enfants vont bien à long terme. On leur apporte de nombreuses années de vie et de la qualité de vie. Les gens doivent comprendre qu’il est important d’investir dans ce secteur. »

*Ces noms ont été modifiés

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