Santé

« La psychiatrie est un service de soin, pas un régime de surveillance »

TRIBUNE – Chaque drame impliquant une personne souffrant de troubles psychiques éclaire les carences du système de soin psychiatrique en France. Un nombre conséquent de voix s’élève pour réclamer des mesures de surveillance accrues, à contre-courant des besoins réels des services hospitaliers.

À droite toute, les fossoyeurs de l’hôpital public, qu’ils soient macronistes (Gérald Darmanin), ou bien issus des Républicains (Jean-François Copé), se sont lancés dans un concours Lépine des propositions les plus répressives, au mépris des libertés fondamentales des individus. La psychiatrie souffre de toutes les carences que l’on peut imaginer, et défendre une vision sécuritaire c’est ne pas avoir l’ambition de répondre aux vrais problèmes. Aussi, soyons clairs : la sécurité passe par la santé !

La vision sécuritaire lorsqu’elle est défendue par le RN ou bien par d’anciens sarkozystes, voulant achever le projet ultra-libéral de leur mentor, ne surprend guère. Néanmoins, dans son entrevue avec le HuffPost, Sandrine Rousseau, avec qui nous partageons de nombreux de combats, défend une position comparable. Nous ne la suspectons de rien, et elle pourra préciser ses propos dans le cadre de la mission qu’elle présentera à l’Assemblée.

Toutefois, nous en appelons à toute la gauche humaniste, et sollicite sa vigilance afin qu’elle ne tombe pas dans les mêmes écueils que les chantres du « tout sécuritaire ».

Ne pas tomber dans les écueils du « tout sécuritaire »

Comment interpréter une proposition qui vise l’intervention des forces de l’ordre au domicile des patients suspecté d’avoir cessé leur traitement ? Alors même qu’ils ne sont coupables de rien ? Tout d’abord, un peu de vérité : une mesure d’hospitalisation sans consentement peut être demandée par les proches des patients, ou bien exigée par les préfets « [à l’endroit des] personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public ». Alors que signifierait une intervention des forces de l’ordre a priori ? Est-ce à dire que les patients sont constamment coupables d’être malades et de ce fait constamment suspects de faits qu’ils n’ont pas encore commis ? Cela relève du roman d’anticipation, et non de l’état de droit !

Précisons qu’en France, 10 millions de personnes sont touchées par des problèmes psychiques, la plupart ont 7 fois plus de risque d’être victime d’une agression. Alors que Santé Publique France pointe la surreprésentation des personnes atteintes de troubles psychiatriques dans nos prisons, sans que l’enfermement soit du moindre secours, la criminalisation doit cesser.

Un parcours d’accompagnement complet, à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôpital est la seule façon de prévenir efficacement les passages à l’acte dangereux

Par ailleurs, les drames de ces derniers mois démontrent l’inefficacité des dispositifs de surveillance déjà mis en place, à l’image du fichier « Hopsyweb ». Ce dispositif, déjà contestable, permet de recouper en permanence la liste des patients faisant l’objet de mesure d’hospitalisation sous contrainte et la liste des personnes fichées S. Cela nous interroge sur la boussole dont la République doit se doter : un régime de surveillance généralisée, pour répondre au manque de moyens, au détriment des libertés fondamentales ne peut pas nous guider ! Au contraire, il faut garantir un parcours d’accompagnement complet, à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôpital ; seule façon de prévenir efficacement les passages à l’acte dangereux pour les patients et la société.

Le parcours de soins et rien d’autre !

Illustration d’une situation catastrophique, la Sarthe a perdu 1 000 lits d’hospitalisation en 25 ans, à vitesse constante : 190 dans la dernière décennie, encore 42 en 2023. Depuis des mois nous multiplions les auditions des acteurs de la psychiatrie : aucun ne demande plus de mesures de sécurité, tous demandent plus de moyens ! C’est légitime et pourtant, faut-il rappeler que le dernier projet de loi de financement de la Sécurité Sociale n’aborde pas la psychiatrie ? Faut-il rappeler que le bouquet législatif du groupe insoumis n’a pas été étudié du fait des 49.3 en série ? Alors que Gabriel Attal fasse de la santé mentale sa grande cause relève du cynisme. Dans sa déclaration de politique générale il n’annonce rien, si ce n’est la réforme d’un gadget (Mon soutien psy) et l’augmentation salariale des infirmières scolaires, une augmentation due depuis de longues années.

Il faut de toute urgence revenir à la psychiatrie de secteur

Tout cela n’est pas à la hauteur des enjeux. Afin de garantir un parcours d’accompagnement complet, il faut de toute urgence revenir à la psychiatrie de secteur. Cela signifie de sanctuariser les financements des structures de soin : les EPSM bien sûr, mais aussi les structures du médico-social assurant la continuité du soin et du lien. Ces dernières sont prisonnières des logiques d’appels à projet dont dépend une part toujours plus grande de leur budget. Une situation impossible qui a profondément affaibli le maillage territorial et nuit chaque jour au bon suivi des patients. Pilier du projet de LFI, c’est tout un filet de protection médico-social qu’il s’agit de retisser autour des patients : du logement, au travail, de l’école à l’accès au lien social et à l’entraide.

Résoudre le problème de la psychiatrie exige de rompre avec l’approche répressive. Au moment où 6 enfants sur 10 souffrent de troubles psychiques et au moment où la pédopsychiatrie est souffrance, là où elle n’a pas disparu, rappelons-nous des priorités : il est urgent d’accompagner et soigner plutôt que de surveiller et punir. Voilà une boussole sérieuse, nous permettant de faire mieux.

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