L’effet Mazan est bien réel pour cette plateforme d’écoute sur la soumission chimique
SOUMISSION CHIMIQUE – Des femmes redoutant avoir été droguées à leur insu, des médecins craignant avoir mal diagnostiqué une soumission chimique : la plateforme lancée récemment par les pouvoirs publics répond aux inquiétudes qu’a provoqué le procès Mazan.
Acteur clé dans la lutte contre la soumission chimique, le centre d’addicto-vigilance de Paris, qui prodiguait des conseils au téléphone, a lancé le 15 octobre le Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (Crafs). Ce dernier a pour vocation d’informer et d’orienter les victimes, leur entourage, les témoins et les professionnels de santé. « La soumission chimique vous enlève vos souvenirs mais elle laisse des traces » : une affiche pour faire connaître cette plateforme et son numéro national (01 40 05 42 70) est déployée depuis début décembre dans les pharmacies de France.
Mieux repérer les symptômes
Depuis le procès Mazan, le centre, situé dans l’Hôpital Fernand-Widal à Paris, reçoit lui aussi une vague de demandes de professionnels de santé. Fatigue, absences, douleurs gynécologiques inexpliquées : les symptômes décrits par Gisèle Pelicot ont occasionné chez beaucoup de soignants une prise de conscience. Pendant des années, la septuagénaire a consulté de multiples médecins et passé des examens. Aucun n’a jamais soupçonné qu’elle était droguée par son mari, qui la livrait à des dizaines d’hommes qui la violaient. « Les médecins qui nous contactent se disent qu’eux aussi n’auraient peut-être rien vu. Quels signes doivent les alerter ? Ils ont l’impression de n’être pas assez formés », explique la Dr Leïla Chaouachi, fondatrice du Crafs.
D’autres symptômes, comme la somnolence, des nausées, des vomissements, des palpitations, des désorientations, des hallucinations, des troubles de la vision ou une amnésie, doivent aussi alerter quant à une potentielle soumission chimique, insiste le Crafs.
Des appels de soignants et d’établissements festifs
Parmi les appels reçus ces derniers jours par la plateforme, celui d’un médecin ayant reçu une patiente qui, poussée à boire, a subi une agression sexuelle. Ce soignant demande la marche à suivre pour l’accompagner et l’orienter.
Un autre a fait état d’une patiente victime de violences conjugales avec suspicion de soumission chimique. Peut-il prescrire par ordonnance une analyse capillaire ? Et quelles substances rechercher ? Le Crafs explique qu’il faut plutôt encourager la victime à porter plainte pour qu’elle puisse bénéficier d’analyses toxicologiques gratuites.
Le Crafs reçoit aussi des appels de la part d’établissements festifs (bars, discothèques…), qui réfléchissent à la mise en place de protocoles. Est-ce intéressant de mettre un couvercle sur les verres ? Cinq femmes, pharmacologues, formées sur les violences sexuelles, répondent à leurs questions.
Pas de profil type de victime
En conseillant les professionnels de santé, le Crafs fait aussi un travail de pédagogie, pour déconstruire les préjugés qui entourent la soumission chimique. « Les idées reçues empêchent sa détection : on pense que cela concerne des jeunes filles droguées dans un club avec du GHB. Or nos données montrent que la victime est droguée souvent dans son entourage par une personne qui trahit sa confiance », souligne la Dr Chaouachi.
« Cela peut être une femme de n’importe quel âge, victime de viols, y compris conjugaux. Une personne âgée droguée pour lui faire signer un papier extorquant un héritage, ou un enfant drogué pour ne pas avoir à s’en occuper, c’est de la maltraitance chimique », détaille-t-elle.
Une femme, qui a porté plainte pour viols conjugaux, appelle la plateforme. Elle raconte s’être sentie alors fatiguée, dans un état second, avec des trous de mémoire répétés, et se demande aujourd’hui si elle n’a pas été droguée à son insu. L’écoutante explique qu’elle peut, par une analyse de cheveux, remonter dans le temps et repérer des substances. « Cinq centimètres de cheveux, c’est cinq mois d’historique ».
Pour améliorer les connaissances sur les substances utilisées, le Crafs mène un projet de recherche scientifique, réalisé à partir de prélèvements capillaires sur les victimes.
Parmi les femmes appelant la plateforme, certaines rapportent des faits bien plus anciens. Comme cette personne âgée, qui évoque les viols conjugaux qu’elle a pu subir il y a trente ans, ou cette autre femme qui parle de l’inceste dont elle a été victime quand elle était enfant. « Même anciens, ces témoignages sont utiles : ils nous renseignent sur les modes opératoires des agresseurs. Les victimes sont nos yeux et nos oreilles. Et parler et être entendue fait du bien à la victime », signale la Dr Chaouachi.
Ces données reçues par la plateforme, utilisées anonymement, sont d’autant plus utiles qu’elles alimentent l’enquête Soumission Chimique publiée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
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